Le slogan manipulateur du « meilleur kWh »

Ce slogan dit :« Le meilleur kWh est celui qui n’a pas été produit ».

Variante : « Le meilleur kWh est celui que vous n’avez pas consommé ».

C’est un slogan devenu à peu près incontournable dans tout discours politiquement correct sur l’énergie.

Il connaît un regain d’actualité avec la pénurie d’électricité. ROMANDE ENERGIE en fait bon usage dans les prospectus qu’elle distribue ces temps à ses clients, prospectus destinés à leur fournir des conseils pour économiser l’électricité.

Une petite réflexion s’impose à propos de ces notions à succès que sont devenues l’efficacité énergétique et le négawatt. Nous reprenons ici, au vu de l’actualité, une réflexion que nous avions publiée, il y a déjà presque 10 ans, sur les observateurs.ch.

À première vue, et pour beaucoup de consommateurs qui réfléchissent, il dit quelque chose de juste: l’efficacité énergétique est une bonne chose. Parce que faire plus avec moins est un bon principe : faire plus de lumière, ou de chaleur ou de travail mécanique avec moins d’énergie ou d’électricité.

Mais ce slogan est manipulateur. Il se trompe de combat : ce n’est pas l’énergie, ce sont les nuisances qu’il faut réduire.

Ce slogan s’oppose au gaspillage, et n’a pas tort en cela. Mais il distille aussi de manière insidieuse une autre idée négative elle, à savoir que l’énergie serait quelque chose de mal en soi, mauvaise de manière inhérente. Et donc que tout kWh produit ou consommé en moins serait a priori un bienfait.

En fait on confond énergie et nuisances de l’énergie. Il y a un mauvais état d’esprit, dont ce slogan est le révélateur. Mauvais état d’esprit qui sous-tend aujourd’hui tous les projets de loi sur l’énergie, au niveau tant de la Confédération que des Cantons : la réduction de la consommation d’énergie est devenue un objectif prioritaire en soi, et quasi sacré. C’est une économie de guerre, basée sur des restrictions et des rationnements que nous propose aujourd’hui la politique énergétique main stream . Cette politique est largement idéologique. Elle se trompe de cible : la chaleur, la lumière, le travail mécanique (machines, voitures, etc…) nous sont utiles et nous rendent la vie plus facile et agréable.

On est passé d’une prise conscience utile à une culpabilisation injustifiée, à une moralisation abusive. Ce n’est pas l’énergie, ce sont les nuisances qu’il faut réduire. Il faut rendre les processus plus propres et choisir les agents énergétiques qui permettent, à prestations égales, le moins de nuisances et sur la base d’analyses objectives.

Pour se rendre compte de l’absurdité de ce slogan, que diriez-vous si on prétendait par analogie que :

  • « le meilleur livre est celui qui n’a pas été écrit, ou que vous n’avez pas lu », ou
  • « la meilleure symphonie est celle qui n’a pas été composée, ou pas écoutée » ?

On peut par contre être d’accord avec

  • « la meilleur maladie est celle qui n’a pas été contractée » ou
  • « la meilleure nuisance est celle qui n’a pas été subie ou générée »

Dit autrement, l’énergie est-elle vraiment assimilable à une maladie ou une nuisance? Poser la question, c’est y répondre.

Une bien meilleure définition du bon kWh serait :

  • « Le meilleur kWh est celui qui rend un service utile (chaleur, lumière, travail mécanique,…) au moindre coût, au moindre impact sur l’environnement et au moindre risque ».

La philosophe genevoise Jeanne Hersch, dans un discours remarquable, prononcé au Poly de Zürich en 1986, quelques mois après la catastrophe de Tchernobyl, avait dit des choses essentielles sur l’énergie, son importance et la façon de s’en servir. https://clubenergie2051.files.wordpress.com/2023/01/lenergie-au-service-de-lhumanite-j-hersch-epfz-f-1986-copie.pdf

 Extraits :

« … il faut se demander: quels sont les critères d‘une croissance raisonnable de la consommation d‘énergie? Je ne pense pas par-là à comment et où dans le détail on peut économiser. Mais d‘une manière très générale quel est le sens profond du développement de notre civilisation?»

(…)

« Je crois que le sens du développement industriel n‘est au fond pas du tout matériel, mais que le développement industriel réduit la peine et le temps de l‘homme.

Grâce au développement industriel, non seulement l‘homme peut vivre plus agréablement, ce qui signifie déjà beaucoup, mais il peut se développer: apprendre et étudier plus longtemps, avoir accès à toutes les formes de la culture, jouir de temps libre, penser à autre chose qu‘à assurer la nourriture du jour et à savoir où passer la prochaine nuit »

Réduire la peine de l’homme… dit Jeanne Hersch. C’est émouvant et très concret. Vous souvenez-vous de la journée de lessive de nos mères : le dur et long travail du linge dans un bassin de béton à la cave et la chaudière en cuivre ? Monter ensuite, sans ascenseur, les lourdes corbeilles de linge mouillé à l’étendage sous le toit ? On pourrait multiplier les exemples.

Jeanne Hersch nous pose donc une question plus actuelle que jamais : sommes-nous fatigués de la civilisation ?

Post scriptum

Bref rappel sur les nuisances de l’énergie. La réalité est que notre ration d’énergie est composée d’un bouquet (mix en jargon d’énergéticiens) composé d’énergies fossiles, d’énergies renouvelables et d’énergie nucléaire. Des nuisances importantes sont associées aux énergies dominantes à près de 80 % de ce cocktail : le gaz, le mazout et le charbon. Ces énergies fossiles sont, par leur nature, par le processus même de combustion et par leur géolocalisation, sources de différentes nuisances : gaz à effet de serre, pollution atmosphérique, épuisement des réserves et conflits géopolitiques. Ces nuisances sont difficiles à réduire sans recourir à une réduction de leur usage. Mais ce n’est pas le cas de toutes les énergies. Les énergies renouvelables et aussi l’énergie nucléaire (paradoxe politique, mais pas scientifique) présentent des bilans écologiques (graphique ci-dessous) beaucoup plus favorables : leur développement présente un potentiel considérable pour simultanément mettre plus d’énergie à disposition des besoins de la société et réduire les nuisances.

Source : http://gabe.web.psi.ch/

Ce qui est controversé, c’est le potentiel pratique des énergies renouvelables de fournir dans quel délai, à quels coûts et avec quel impact sur le paysage de quoi réduire notre dépendance excessive à l’égard des fossiles. Le recours au nucléaire est aussi très controversé avec un autre slogan: le nucléaire = Fukushima. Slogan réducteur parce que Fukushima c’est surtout un énorme Tsunami dont les exploitant n’avaient pas tenu compte, ni dans l’emplacement du site et ni dans les équipements de sécurité, dont certains manquaient cruellement. Les exploitants de la centrale de Fukushima ont commis des erreurs manifestes : les Suisses, comme le reste du monde, n’ont pas à payer pour ces erreurs. Un recours intelligent au nucléaire sous des conditions strictes de sécurité sera plus utile au développement des énergies renouvelables que son rejet aveugle. En diminuant la facture de l’énergie, le nucléaire libère des moyens financiers utile à la R&D encore nécessaire pour les renouvelables. Et si les renouvelables se révélaient à terme impuissants à couvrir les besoins d’une société où tous souhaitent aspirer à un bon niveau de prospérité, le nucléaire (avec la fission, puis la surgénération et enfin la fusion) a aussi le potentiel de fournir à long terme une ration confortable d’énergie tout en limitant efficacement les nuisances.

Sur lesobservateurs.ch : https://lesobservateurs.ch/2013/05/24/le-slogan-manipulateur-du-meilleur-kwh/

JFD / 31.01.2023

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4 commentaires pour Le slogan manipulateur du « meilleur kWh »

  1. Le tableau-graphique comparatif du PSI est remarquable et il n’y a désormais plus besoin de longues explications. Dommage que le grand public soit si peu informé.

  2. hausmann conrad dit :

    La fusion et le lithium…je ne vois pas le rapport !

    • Rollier Henri dit :

      Le lithium est utilisé pour produire le tritium nécessaire à la fusion (avec le deutérium qui se trouve dans l’eau de mer et dont la production nécessite beaucoup d’énergie)

  3. Rollier dit :

    Qu’on le veuille ou pas, tout investissement pour produire de l’énergie, même renouvelable, induit des nuisances et de la pollution. Exemples: le béton utilisé pour rehausser un barrage émet beaucoup de CO2. Les panneaux solaires nécessitent des ressources minières et de l’énergie. La fusion impliquera la consommation de lithium, sans compter les ressources énormes nécessaires à la fabrication des réacteurs.. Il semble donc sain d’essayer de limiter dans la mesure du possible la consommation d’énergie, ce qui ne veut bien sûr pas dire qu’on renonce à tout confort.
    D’autre part, une économie d’énergie permet d’avoir moins à investir pour produire cette énergie qu’on n’utilise plus, il s’agit aussi de faire un calcul economique. Mais peut être que derrière vos interventions se cache la volonté de bénéficier d’une partie de ces investissements futurs que vous appelez de vos vœux?

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