Quelques indispensables rappels chiffrés pour envisager « sereinement » l’an 2050

Sur nos monts quand le soleil …

 

Les mises en garde, publiées par le ClubÉnergie.2051 dans le communiqué de presse du 12 juin, n’ont pas rencontré dans la presse romande le moindre écho à cette heure et à ce que je sache…

Quel que soit le résultat de la votation de ce dimanche 18 juin 2023, il nous faudra tabler sur beaucoup d’innovation(s) pour arriver au zéro net d’émissions de CO2 en 2050 !

On pourra certes augmenter les rendements de conversion des diverses sources, ainsi que les densité énergétiques des divers moyens de stockage absolument nécessaires. Par contre les facteurs de charge du solaire et de l’éolien, par exemple, resteront limités dans leur augmentation, du fait des conditions naturelles qui les imposent.

Mais avant de se lancer des fleurs pour les achèvements technologiques innovants qui auront été acquis, il est bon de considérer une fois encore d’un peu plus près les données chiffrées qui constituent le cadre imposé.

Quelques indispensables rappels chiffrés pour envisager « sereinement » l’an 2050

En 2021, tout le secteur énergétique a coûté aux consommateurs suisses pas moins de 25,78 milliards de francs (soit 3,5% du PIB, dont 10,25 milliards pour la seule électricité, 58 TWh(él) (milliards de kWh électriques), soit 17,63 ct/kWh(él)).

La Suisse a consommé 111,71 PJ (pétajoules, ou millions de milliards de J) de divers combustibles pétroliers liquides (pour 2,36 milliards de francs) et 122,28 PJ de gaz (pour 2,71 milliards de francs), soit 65 TWh(th) (térawattheures thermiques, ou milliards de kWh thermiques), et encore une fois autant, soit 233,21 PJ de carburants, (pour 9,56 milliards de francs), soit 65 TWh(th), donc au total 130 TWh(th) d’agents fossiles (pour 14,63 milliards de francs, soit 11,25 ct/kWh(th)).

Cette consommation d’agents fossiles (59% de notre consommation finale d’énergie) correspond à 11 Mtoe (millions de tonnes d’équivalent pétrole), cause d’émissions de près de 35,9 MtCO2 (millions de tonnes de CO2), soit 4,2 tCO2 par habitant. C’est ce qu’on voudrait éviter en 2050.

Transport : en 2050 avec potentiellement 10 millions d’habitant et 4,5 millions de VEL (véhicules électriques), la demande supplémentaire en électricité pour ces VEL sera d’au moins 13,5 TWh(él) (térawattheures électriques, ou milliards de kWh électriques) sur l’année (calcul avec 15’000 km/an/VEL, avec une consommation spécifique de 20 kWh(él)/100 km et une consommation annuelle de 3’000 kWh(él)/VEL). Pour une autonomie de 500 km, il faudra des batteries d’une capacité de 100 kWh(él)/VEL. Avec une future densité énergétique des batteries lithium-air (les plus légères qui soient) de 2,5 kWh/kgLi, soit 40 kgLi/VEL, le parc suisse requerra 180’000 tLi (tonnes de lithium), soit à lui seul presque le double du marché mondial annuel du lithium (107’000 tLi en 2021).

Chauffage : en hiver, 2 millions de PAC (pompes à chaleur), avec un COP (coefficient de performance) de 3, vont demander aussi au moins 13,2 TWh(él)/an d’électricité en plus (avec des puissance thermique et électrique de 12 kW(th)/PAC et 4 kW(él.)/PAC, avec environ 9 h/jour d’hiver/PAC, 183 jours d’hiver/an/PAC, soit une consommation électrique annuelle de 6,6 MWh(él)/PAC).

Consommation : au total, la demande électrique supplémentaire sera de presque 27 TWh(él) sur l’année, dont 7 TWh(él) en été et 20 TWh(él) en hiver. Ces chiffres sont à prendre en compte en plus de la consommation actuelle d’électricité et sont donc à ajouter aux 62 TWh(él) actuels (28 TWh(él) en été et 34 TWh(él) en hiver), soit au moins 89 TWh(él), soit 35 TWh(él) en été (39%) et 54 TWh(él) en hiver (61%).

Production : avec la disparition du nucléaire (un peu plus de 23 TWh en 2022), le manque sera de 10 TWh(él) en été et de 13 TWh(él) en hiver.

Ce qu’il faudra donc couvrir de façon nouvelle en 2050 ce sera 27 + 23 = 50 TWh(él) supplémentaires, soit 7 + 10 = 17 TWh(él) en été (34%) et 20 + 13 = 33 TWh(él) en hiver (66%).

« Perspectives énergétiques 2050+ » : elles prévoient précisément 33,6 TWh(él) de PV (photovoltaïque), dont 70%, soit 23,5 TWh(él) en été et 30%, soit 10,1 TWh(él) en hiver, ainsi que 4,3 TWh(él) d’éolien (dont 1/3, soit 1,4 TWh(él) en été et 2/3, soit 2,9 TWh(él) en hiver) et encore 4,2 TWh(él) de diverses biomasses (donc 2,1 TWh(él) sur chaque semestre), soit au total une production renouvelable, mais intermittente, de 42,1 TWh(él), dont 27 TWh(él) en été (64%) et 15,1 TWh(él) en hiver (36%). C’est quasiment l’inverse des proportions de la demande.

On observe qu’il y aura un excès de production de 10 TWh(él) en été, mais un manque de près de 18 TWh(él) en hiver.

Si l’on réussissait à stocker cet excès de 10 TWh(él) produit en été, on pourrait en retirer 8 TWh(él) en hiver, par exemple, avec 80% de rendement du pompage turbinage saisonnier de l’été sur l’hiver, ou en transformant ces 10 TWh(él) en H2 (dihydrogène) par électrolyse (*), pour en retrouver aussi 8 TWh(él) en hiver au moyen de piles à combustible. Le manque hivernal se ramènerait ainsi encore à près de 10 TWh(él). Il faudrait donc augmenter la part de production estivale, par exemple, encore 10 TWh(él) par du PV, soit encore quelques dizaines de km2 de PV de plus à installer. Finalement, ce serait 22,5 TWh(él) à produire en excès en été pour les stocker et en retrouver 18 TWh(él) en hiver pour combler toute la lacune.

La Grande Dixence permettant de produire environ 1,57 TWh(él) par an, aussi bien le stockage nécessaire que le manque prévu équivalent chacun à 6 Grande Dixence. Où installer 12 de telles nouvelles capacités de production ?

Pourra-t-on importer ces 10 TWh(él) manquant en hiver ? Faudra-t-il les produire avec des centrales à gaz ? Ce qui serait la cause d’émissions de 8,5 MtCO2 et ce qui éloignerait encore l’objectif du net zéro.

Faisabilité : il y a un autre problème, car produire les 33,6 TWh(él) prévus en 2050 par du PV demanderait d’installer 38 GWp (milliards de watts-crête, avec un facteur de charge moyen de 10%), soit une surface de 192 km2 de modules PV d’ici 2050 , soit aussi 1,41 GWp ou 7 km2 par an, soit aussi 5,41 MWp ou 27’000 m2 par jour ouvrable, ce qui signifie la mise en service chaque jour ouvrable de l’équivalent de 540 installations domestiques de 10 kWp ou 50 m2.

Pour l’éolien, les 4,3 TWh(él) prévus demanderaient une puissance installée de 2,45 GWp, soit un parc de 818 éoliennes de 3 MWp (millions de watts-crête, avec un facteur de charge moyen de 20%). Cela demanderait d’installer 30 machines par an, soit aussi d’inaugurer une nouvelle éolienne en Suisse tous les 12 jours et tout cela non stop jusqu’en 2050.

De plus, comme la durée de vie des installations PV est de 25 à 30 ans et celle des éoliennes de 15 à 20 ans, quasiment aucunes des installations PV ou des éoliennes existant à ce jour ne seront encore actives en 2050, tout est donc encore à faire d’ici 2050 et, de plus, tout le parc sera à renouveler continûment et complètement tous les 25 à 30 ans.

Le lecteur qui m’aura suivi jusqu’ici est peut-être écrasé par tous ces chiffres. Mais on n’y coupe pas ; à les négliger, on tire seulement des plans sur la comète. Peut-être que certains d’entre eux sont faux ou fortement incorrects. Je saurais gré au lecteurs attentif de me les signaler.

 

Christophe de Reyff

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(*) Stocker ces 10 TWh(él) sous forme de gaz H2 (dihydrogène) comprimé à 700 bars représenterait 238’000 tonnes de ce gaz H2 (électrolyse faite avec 80% de rendement, soit avec 42 kWh/kgH2, actuellement c’est plutôt 50 kWh(él)/kgH2). Comprimé à 700 bars (masse volumique de 38 kg/m3), cette masse ferait un volume de 6,3 millions de m3, soit 1,35 fois le volume de 4,68 millions de m3 des deux tubes du tunnel de base du Saint-Gothard (chacun avec une section de 41 m2 et une longueur de 57,1 km). Comprimé à seulement 200 bars (avec une masse volumique 15 kg/m3), cela ferait un volume de près de 16 millions de m3, soit 3,4 fois le volume des deux tubes du tunnel de base du Saint-Gothard. S’il s’agissait de stocker de quoi disposer de 18 TWh(él) en hiver, ce serait près de 29 millions de m3, soit plus de 6 fois le volume des deux tunnels.

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