La transition énergétique est la source des principaux inconvénients qui affectent l’énergie en général et l’électricité en particulier : à savoir, la pénurie et la hausse des prix. Curieusement le remède des promoteurs de la loi sur l’électricité du 9 juin est de « booster la transition » : comme si la transition énergétique posant problème, alors la solution serait « plus de transition ». C’est la fuite en avant : si la transition fait mal, il en faut encore plus pour améliorer les choses. Explications.
1. La Transition énergétique : de quoi s’agit-il ?
La « transition énergétique » est devenue la formule magique pour résoudre tous les problèmes liés aux questions d’énergie et d’écologie. Que propose-telle ? De remplacer dans l’électricité TOUT le nucléaire par QUE des énergies renouvelables. C’était une réponse à Tchernobyl et à Fukushima. Puis s’est ajouté à l’agenda politique la lutte pour réduire les émissions de CO2 dans le but de limiter le réchauffement climatique. Maintenant il s’agit donc de remplacer en dehors du secteur électrique, TOUT le fossile par aussi QUE des renouvelables. Des premières contradictions sont apparues parce qu’on s’est aperçu que l’électricité étant décarbonée, en Suisse et dans plusieurs pays occidentaux, l’idée a émergé d’électrifier le plus possible le secteur hors électricité, par exemple la voiture. Idée sans solution simple : il faudrait beaucoup d’électricité supplémentaire pour cela, or il apparaît déjà très difficile de supprimer complètement le nucléaire, même dans la production d’électricité actuelle.
2. Une question incontournable : la faisabilité.
Il y a une question clef incontournable ? Est-ce possible de remplacer TOUT le nucléaire et TOUT le fossile ? C’est une question technique, ce n’est pas une question de goûts et couleurs, il ne s’agit pas de croire, mais de vérifier. L’objectif est séduisant, les renouvelables ont beaucoup de qualités. La réponse lucide est cependant non : on ne peut pas faire toute l’énergie que nous consommons avec les seules énergies renouvelables. Peut-être une fois dans un futur lointain, mais on n’y arrive pas dans l’avenir prévisible avec les technologies disponibles actuellement. Cette impossibilité a été établie avec beaucoup de sérieux par plusieurs études des Ecoles polytechnique, de l’Institut Paul Scherrer et des associations de spécialistes du terrain. La politique n’a pas voulu en tenir compte et a lancé la « Stratégie énergétique 2050 » approuvée en votation populaire en 2017. Cette stratégie énergétique prévoyait des aides financières aux énergies renouvelables et l’interdiction du nucléaire. Elle prévoyait aussi un délai, 2050, pour atteindre les objectifs : zéro nucléaire et zéro CO2. Mais elle ne donnait pas de plan de réalisation chiffré. Un peu comme un architecte à qui on demanderait un projet pour une maison, livrerait le cahier des charges, mais pas… les plans ! Comme prévu par les études de spécialistes, cette stratégie ne fournit pas tous les KWh électriques demandés par les consommateurs. Elle n’a même pas fourni de quoi satisfaire l’augmentation de la consommation due à la croissance démographique et économique. Résultat : notre pays, et d’autres dans l’UE, connaissent une pénurie d’électricité.
3. L’ouverture du marché a retiré aux producteurs d’électricité leurs responsabilités.
C’est même la double peine : à la pénurie s’ajoute une hausse sensible du prix du kWh. Cette hausse des prix est la conséquence d’une autre décision politique prise dans la même période (par coïncidence de l’agenda), à savoir l’ouverture du marché de l’électricité. L’ouverture du marché a retiré aux producteurs d’électricité leur double responsabilité : celle d’investir en sorte de disposer en permanence d’une réserve de production et celle de pratiquer des prix modérés qui ne permettent pas de les accuser de profiter de leur situation de monopole. Le marché n’investit pas assez et le prix est fixé par une bourse qui réagit fortement à la hausse en cas de tension offre-demande.
Les producteurs d’électricité sont des coopératives créées par les distributeurs dès qu’ils n’ont plus eu sur leurs territoires (plaine) les ressources hydrauliques nécessaires à leur consommation. Les coopératives (EOS, puis Alpiq) pour la Suisse romande ont interconnecté les réseaux de distributions avec un réseau de transport et investit dans les nouvelles ressources, principalement l’hydraulique alpine et le nucléaire. Constat un peu oublié : pendant les dizaines d’années écoulées depuis leur création, ces coopératives de production
4. Les producteurs gagnants sur le prix de vente
Les producteurs sont gagnants sur un point : ils peuvent vendre leurs kWh à un prix inespéré avant l’ouverture du marché, le prix élevé en bourse, dont ils ne sont pas responsables. Il faut préciser que les actionnaires, des Cantons et de Communes, exerçaient une forte pression en leur disant en substance : l’électricité est complexe, nous ne maîtrisons pas nous-mêmes. C’est vous les producteurs qui êtes compétents. Il y a deux choses que nous ne voulons pas, et que nous savons voir : 1) des pannes de courant et 2) des prix exagérés. Faites ce qu’il faut pour éviter cela, c’est votre job !
Les producteurs ne sont plus soumis à la dictature des prix de revient, la bourse tire les prix à des hauteurs inespérées pour eux. Cela explique probablement le silence actuel de la branche. Silence qui porte en particulier sur la cause des problèmes actuels et qui nécessiterait pourtant une explication basée sur leur expertise professionnelle, qui serait indispensable au citoyen-consommateur pour y voir plus clair sur des votations comme celle du 9 juin.
N’oublions pas cependant : pendant les dizaines d’années écoulées sous ce régime depuis la création des coopératives de production jusqu’à l’ouverture du marché, vers 2007, le consommateur pouvait être en confiance : il n’a pas connu ni des pannes de courant, ni de hausse sensible des prix. En plus, même si le prix du kWh électrique était légèrement supérieur à celui de la France (le kWh le meilleur marché de l’UE), la différence n’était pas dans la même proportion que le prix du beefsteak ou des loyers.
La situation actuelle, de pénurie et de hausse des prix, résulte donc de l’addition 1) de la transition énergétique, qui a contraint à n’investir que dans les énergies renouvelables, insuffisantes pour assurer en permanence la demande d’électricité et 2) de l’ouverture du marché, marché qui n’a pas assuré la sécurité d’approvisionnement et qui a substitué aux prix de revient, des prix formés en bourse qui réagissent à la hausse en cas de tension offre-demande.
5. Un débat très idéologique
Au départ le débat politique sur l’énergie a été fortement conditionné par un conflit idéologique sur le choix entre nucléaire et renouvelables, débat difficile pour tous les acteurs. Le nucléaire était très clivant et faisait, voire continue à faire, l’objet de beaucoup de désinformation. Un slogan emblématique à cet égard : « il n’y a pas de solution pour les déchets radioactifs ». Et pourtant les déchets radioactifs sont probablement les mieux gérés en comparaison : les erreurs de gestions de tous déchets se paient par des contaminations accidentelles de la biosphère. On n’en connaît pas par les déchets radioactifs. On doit regretter aussi que les militants engagés contre le nucléaire n’aient pas tenu une argumentation plus étayée, du type « votre gestion a des faiblesses, les voilà, … », avec une description de ces faiblesses. Cela aurait beaucoup intéressé les professionnels de la sécurité, parce que leur tâche consiste précisément à anticiper les faiblesses et ils sont dans une angoisse permanente liée au fait qu’il n’y a jamais de certitude d’avoir pensé à tout. Les réflexions d’opposants moins « le nez dans le guidon que les professionnels » auraient été intéressantes. Malheureusement leur argument a été systématiquement de dire, en substance, « il est inutile d’analyser le nucléaire : il est tellement mauvais qu’il faut juste l’interdire… ».
6. Le réalisme va-t-il l’emporter sur l’idéologie ?
Il semble cependant que ce conflit idéologique est en train de prendre un coup de vieux. Ce conflit, qui de manière un peu manichéenne incarnait le Bien contre le Mal, a perdu de son impact. Parce que de plus en plus nombreux sont les citoyens qui ont compris que le nucléaire et le fossile ne présentent pas que des défauts et, à l’inverse que les énergies renouvelables ne sont pas sans inconvénients. Encore qu’un autre débat a, entretemps, émergé : celui sur le changement climatique. Une certaine hystérie climatique « supprimer toute émissions de CO2, quoi qu’il en coûte… », a un peu remplacé l’hystérie anti-nucléaire. Même si le renoncement à certaines émissions de CO2 pourrait être beaucoup plus dommageable à la société par les privations d’énergie qui en résulteraient que les conséquences du changement climatique.
7. Les vraies questions encore en suspens.
Le dilemme aujourd’hui n’est pas le choix entre énergies renouvelables ou nucléaire et fossiles, mais plutôt le choix entre de l’énergie en permanence ou des coupures et des restrictions, et aussi entre un prix modéré ou élevé de l’énergie. Nous souffrons aujourd’hui déjà des conséquences prévisibles : pénurie d’électricité et hausse (forte) des prix.
Leur recette : empêcher les oppositions régionales aux projets solaires et éoliens. Ce qu’ils ne disent pas : l’Allemagne avait au départ interdit dans sa loi les oppositions. Le résultat est catastrophique, et c’est la Cour des comptes allemande qui le dit dans un rapport du début de cette année : certes cela a boosté la pose de panneaux solaires et la construction d’éoliennes, en comparaison au sein de l’UE. Mais si l’Allemagne en a fait plus, elle n’a pas pu en faire assez, parce que c’était précisément impossible. Le rapport de la Cour des comptes est accablant pour l’état du système électrique et les finances allemandes : manque de KWh, des KWh très chers, des KWh à forte teneur en CO2 (charbon), et récession économique.
8. Le risque de pénurie, un tabou à lever.
Le débat qui reste occulté aujourd’hui encore, et qu’il faudrait oser affronter sans tabou, c’est donc celui de la faisabilité de la transition énergétique. En clair est-il possible de faire, et de payer, dans le secteur de l’électricité toutes les prestations souhaitées sans nucléaire et hors secteur électrique, sans les fossiles. La question revient à savoir si 1) la transition énergétique (c.a.d. suppression du nucléaire et des fossiles) conduit-elle inéluctablement à des pannes de courant et des pannes de carburant. Avec en prime des prix élevés. Concernant le nucléaire on a quand même un bilan sanitaire et écologique, et aussi des victimes par accident ramenées au kWh, très favorables. La question du fossile est peut-être en train remplacer par sa virulence le débat nucléaire. L’idée que des « pannes de carburant » pourraient se révéler plus désagréables pour le bien-être de la société que le réchauffement climatique pourrait aussi faire son chemin. Comme la prise de conscience de beaucoup dans l’opinion publique que l’alarmisme du GIEC est abondamment démontré exagéré par beaucoup de scientifiques du climat.
De fait les risques de pannes et de prix élevés en forçant les renouvelables au-delà de leurs possibilités limitées, fera-t-il partie du débat ? Les responsables vont-ils oser demander aux citoyens consommateurs s’ils sont prêts à accepter des pénuries et des prix qui flambent ?
Et la position de la branche électrique ? Elle est troublante, et même ambigüe. Exemple : le président de l’AES et CEO d’Alpiq donnait, dans une interview donnée à Bilan en 2018, un éclairage lumineux de clarté sur la situation de l’approvisionnement en électricité : « …si nous interdisons le nucléaire, alors nous manqueront d’électricité. Nous devrons importer. Mais si l’UE renonce aussi au nucléaire, nous devrons tous importer, en même temps. Cela personne ne sait le faire… ».
Aujourd’hui il ne dit plus cela, mais simplement : « … nous importerons » et la Confédération « doit pourvoir, avec les Accords-cadres de l’UE, à rendre ces importations possibles. Pas vraiment rassurant…
8. Le plus grave peut-être : l’absence des experts compétents.
Au final, si la question de la faisabilité et du prix de la transition énergétique – par le remplacement de tout le nucléaire et de tous les fossiles – est décisive, alors le débat doit s’approfondir en qualité. Un indicateur inquiétant à cet égard : la Confédération dispose d’un centre de compétence scientifique multi-énergie, l’Institut Paul Scherrer, qui a publié début 2017, juste avant la votation de la Suisse sur l’interdiction du nucléaire, un rapport essentiel qui comparait pour tous les modes de production des KWh :
- Les coûts directs et externes
- Les bilans écologiques (yc CO2)
- Les potentiels de production (en Suisse)
Les chiffres de ce rapport faisaient douter de la faisabilité de la Stratégie Énergétique 2050. Le DETEC a donné l’ordre au PSI de ne pas parler de ce rapport. Ainsi, alors que tous les rapports (épais) du PSI faisaient l’objet d’une brochure vulgarisée et résumée dans la série « Energie-Spiegel », pour en faciliter la compréhension pour le public et les médias, il n’y a pas eu de Energie-Spiegel sur cette étude de 2017 du PSI.
Deuxième indicateur inquiétant sur la qualité du traitement scientifique du débat : la votation du 9 juin a déjà fait l’objet de plusieurs débats dans les médias. On peut constater que parmi les invités à ces débats, il y a eu absence régulière, d’ingénieurs et de spécialistes professionnels de la production d’électricité. On débat des convictions et des opinions, mais pas des connaissances et des réalités techniques derrière les agents énergétiques.
Tout se passe comme si on attend un réveil – brutal – par des pannes et des prix hors contrôle…
Il faut rappeler ce proverbe breton bien connu : « On ne crache pas contre le vent » !
PS
Le clubenergie2051 recommande de voter non à la Loi sur l’électricité le 9 juin prochain, voir: https://clubenergie2051.ch/2024/05/01/prise-de-position-du-clubenergie-2051-pour-la-votation-du-9-juin/
Ping: Réflexions sur la Conférence-séminaire du 30 mai dernier à l’EPFL consacrée à la transition énergétique | clubenergie2051.ch
Ce long exposé résume bien la situation actuelle et son historique, tandis que cette « Loi sur l’électricité » est une mauvaise solution pour tenter de sauver cette « Stratégie 2050 » irréalisable sans le nucléaire, avec des conséquences graves et des atteintes irrémédiables à nos paysages et forêts.
Au sujet de l’ouverture du marché de l’électricité (Chap. 4), il faudrait aussi relever que les producteurs (grossistes) ont aussi perdu leur statut de « transporteurs » avec leurs lignes HT et THT, cela au profit d’une nouvelle entité virtuelle (Swissgrid), ce qui a eu pour conséquence l’augmentation du prix du Kwh pour les consommateurs captifs ou non , cela au moyen de taxes élevées.