Surproduction estivale et stockage saisonnier de l’électricité

Page de couverture du célèbre « livre jaune » du Professeur André Gardel (1979).

Il a déjà plusieurs fois été écrit ici que la perspective d’installer d’ici 2050 en Suisse pas moins de 40 GW de photovoltaïque (PV) − soit aussi une surface de 200 km² de modules (probablement pour au moins 50 à 60 milliards de francs), pour une production attendue de 38,5 TWh par an, dont 29,5 TWh en été et 9 TWh en hiver − ne va pas du tout contribuer à la sécurité d’approvisionnement du pays et cela pour plusieurs raisons.

Il y aurait ainsi en été des surproductions engendrant une puissance énorme pouvant tripler, voire quadrupler les capacités du réseau électrique suisse, adapté actuellement pour gérer quelque 11 GW au maximum, demain probablement 16 GW, mais guère plus. Rappelons que la demande moyenne actuelle est de 7 GW, oscillant entre 4 et 11 GW. Demain, avec l’électrification des chauffages et des transports, ce sera une moyenne de 10 GW, oscillant entre 6 et 16 GW. Ces surplus soudains de production solaire, concrétisés par des pics de puissance allant jusqu’à 40 GW, devraient donc être gérés immédiatement, soit en les vendant à l’étranger, soit en les stockant.

Pour la première solution, il est probable que les pays voisins soient aussi en surproduction aux mêmes heures que la Suisse s’il règne une haute pression et un temps ensoleillé sur l’Europe. On devrait alors devoir forcer la main d’acheteurs potentiels en leur vendant nos kWh excédentaires à très bas prix, voire à prix négatif. Notons bien que cela se passe déjà aujourd’hui : cet été, plus de 240 heures, soit l’équivalent de 10 jours pleins, ont vu le marché européen de l’électricité offrant des prix négatifs, une aubaine pour certains revendeurs ici ou là, mais pas pour les consommateurs captifs de leurs fournisseurs et liés à un tarif d’achat convenu d’avance !Plus le parc PV européen sera important, plus ces situations anormales seront à attendre les beaux jours d’été. Et s’il n’y a plus d’acheteurs, même à prix négatif, il restera aux services électriques, qui ne seront plus repreneurs soit la solution drastique de stopper la production PV en excès − ce qui peut déjà se faire en débranchant à distance les autoproducteurs grâce aux compteurs intelligents qui gèrent les onduleurs, flouant ainsi leurs clients autoproducteurs −, soit la voie plus rationnelle de stocker cette énergie électrique, avec trois possibilités : par pompage-turbinage, par batterie, ou par production d’hydrogène. Une quatrième solution par accumulation d’énergie gravitationnelle potentielle de blocs de béton par des systèmes de grue serait à mentionner, à côté d’une cinquième, par stockage d’air comprimé dans des cavernes, dont les coûts ne sont pas encore précisés.

Une récente publication (en deux parties) d’Avenir Suisse, parue en fin août, aborde ces thèmes : « L’électricité en été, un problème pour la Suisse » et « Recettes contre la surproduction ». Partant du fait qu’il y aurait quelque 20 TWh de surproduction PV en été que l’on pourrait stocker d’une façon ou d’une autre pour en récupérer seulement 8,5 TWh en hiver (les rendements des deux processus se multiplient…), l’étude d’Avenir Suisse évalue les coûts des trois scénarios comptés chacun complètement et séparément :

1° l’équivalent de 800 installations de pompage-turbinage du genre de Nant de Drance (à 2,1 milliards de francs chacune), soit 1’700 milliards de francs ;

2° au moins 5,1 millions de batteries du style Megapacks de Tesla (avec une capacité de 3,9 MWh et à 1 million de francs pièce), soit 5’100 milliards de francs ;

3° le recours à l’hydrogène produit par électrolyse de l’eau. Les 20 TWh représentent l’équivalent d’une capacité théorique de 20 GW d’électrolyseurs fonctionnant durant 1’000 heures en été, soit aussi 40 groupes d’électrolyseurs à 0,5 GW par groupe, pouvant produire chacun 250 fois 2 GWh en 4 heures (à 450 millions de francs par groupe, soit 18 milliards de francs) pour produire, comprimer, transporter et stocker dans des cavernes les 400’000 tonnes d’hydrogène ainsi produit (à raison de 50 kWh/kgH₂), ou 27 millions de m³ sous 200 bars. Ces volumes de stockage seront bien sûr à créer (pour encore quelques dizaines de milliards de francs). Ces volumes représentent aussi 4 fois le volume excavé du tunnel de base du Gothard (28,2 millions de tonnes excavés, soit quelque 7 millions de m³). Puis il faudra transformer cet hydrogène en électricité soit par des piles à combustible (encore très chères actuellement), soit par des turbines à gaz hydrogène fonctionnant donc seulement en hiver (il faudrait au moins 8,5 très grosses turbines de 500 MW durant 2’000 heures pour produire 8,5 TWh, ou 142 petites turbines de 30 MW à 60 millions de francs la pièce, soit 8,5 milliards de francs ), alimentées avec cet hydrogène. Soit un coût total pour cette solution hydrogène pouvant aller jusqu’à 86 milliards de francs.

On voit immédiatement que les deux premières solutions seront marginales.

Il reste bien sûr la solution la plus évidente : disposer de deux ou trois nouvelles centrales nucléaires (avec chacune 1,65 GWe et 13 TWh par an et en comptant 37 jours d’arrêt de révision en été) pouvant assurer 26 à 39 TWh par an, soit précisément 12 à 18 TWh en été et 14 à 21 TWh en hiver…

Même avec 10 à 12 milliards de francs la centrale, cette solution reste, et de loin, la plus économique…

Comme l’écrivait déjà le Professeur André Gardel en 1979, aucun scénario n’est faisable avec les seules sources d’énergie renouvelables. Si l’on doit renoncer aux agents fossiles, il faut recourir à l’énergie nucléaire.

Christophe de Reyff

 

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4 Responses to Surproduction estivale et stockage saisonnier de l’électricité

  1. Avatar de Brunner Brunner dit :

    Oui à la variante énergie nucléaire, au vu des investissements estimés. Mais comment assurer la fourniture des combustibles nucléaires auprès des pays et dictatures fournisseurs actuels ?

    • Avatar de Christophe de Reyff Christophe de Reyff dit :

      Vous avez raison d’évoquer cette question. Mais si l’on regarde les ressources mondiales d’uranium à un prix inférieur à 260 $ le kilogramme (ressources raisonnablement assurées, RAR), les deux premiers pays sont l’Australie (avec 1318 kilotonnes) et le Canada (649 kt), suivis du Kazakhstan (387 kt), du Niger (335 kt), de la Namibie (323 kt), de l’Afrique du Sud (258 kt), de la Russie (252 kt), de l’Inde (213 kt), du Brésil (156 kt), de l’Ukraine (122 kt), des USA (112 kt) et de la Chine (111 kt).

      En regard de cela, la demande mondiale annuelle actuelle est de quelque 50 à 65 kt, la quantité consommée cumulée d’uranium naturel (Unat) à ce jour est de 3,5 millions de tonnes (ayant permis de produire quelque 104’000 TWh cumulés, soit 0,034 g Unat par kWh, ou moins de 0,0002 g U235 par kWh) et les ressources totales de Unat sont estimées à environ 8 millions de tonnes (donc pour 120 à 160 ans avec la génération actuelle de réacteurs n’utilisant que U235). Du fait du développement mondial du recours à l’énergie nucléaire, on s’attend à une demande annuelle de 94 à 122 kt Unat vers 2030 déjà.

      • Avatar de jf.dupont jf.dupont dit :

        On a eu un exemple récent de mauvaise information sur les pays producteurs d’uranium.
        Dans l’émission « Les Beaux Parleurs » de la RTS, Micheline Calmy-Rey déclarait récemment, visiblement énervée, à propos des récentes propositions du CF Albert Rösti en faveur de lever l’interdiction de construire de nouvelles centrales nucléaires : « On ne va quand même pas assurer notre indépendance énergétique avec de l’uranium, quand on sait qu’il vient de pays non démocratiques ? ». Or les deux premiers producteurs d’uranium sont bien le Canada et l’Australie. Des pays non démocratiques ? Quand on veut tuer son chien…

  2. Eh oui ! Le nucléaire CH reste la meilleure solution pour l’avenir. Les plans pour Mühleberg 2 sont à finaliser dès que possible ! Le professeur André Gardel était l’un des patrons du consortium qui avait construit les cavernes du réacteur nucléaire HWGCR de la Centrale nucléaire de Lucens.

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