L’Inspectorat fédéral de la sécurité nucléaire (IFSN) et l’exploitant des centrales jumelles de Beznau (Axpo), dans le cadre de leurs contrôles réguliers ont fait état récemment d’indications concernant les cuves des réacteurs, indications pouvant révéler un affaiblissement de leur fiabilité. Cet évènement est l’occasion pour Le Matin de publier un article qui témoigne de manière percutante d’un traitement journalistique indigne dans lequel le réquisitoire complaisant et militant antinucléaire l’emporte, une fois de plus, sur l’analyse.
«Fermez Beznau aussi vite que possible!»
Par Christine Talos. Mis à jour le 11.08.2015 35 Commentaires
Source, article complet sur:
http://www.lematin.ch/suisse/fermez-beznau-vite-possible/story/30318314
Le commentaire de ClubEnergie2051 sur cet article de lematin.ch
Sur le fond
La solidité de la cuve d’un réacteur est un élément clef de la sécurité. C’est aussi un élément critique, parce qu’une cuve ne peut pratiquement pas se remplacer, au contraire de la plupart des autres équipements. Les concepteurs, les fournisseurs, les exploitants et les autorités se sécurité en sont conscients depuis le tout début. Il y a avec le temps un vieillissement de l’acier des cuves, sous l’effet de l’irradiation importante à laquelle elles sont soumises. Les mesures prises sont la surveillance régulière de l’état des cuves, les tests de résistances sur des éprouvettes du même acier placées depuis la construction dans la cuve et soumises sur la même durée aux mêmes radiations. Il y avait à l’origine une incertitude sur la durée de vie pratique de cet acier soumis à irradiation. On ne disposait pas du recul nécessaire. Par précaution on avait aussi fixé à 25 ans la durée d’amortisation des centrales nucléaire, pour le cas où ce phénomène de vieillissement aurait été plus rapide que ce qu’on savait à l’époque.
La bonne nouvelle est que l’acier s’est révélé plus endurant que prévu : une prolongation de la durée d’exploitation à 50 ans et 60 ans peut être envisagée.
La mauvaise nouvelle est que des indications pouvant conduire à un vieillissement accéléré laissent planer un doute sur la durée de vie effective restante des centrales nucléaires. Comme toute machine thermique, ne serait-ce qu’un moteur de voiture, il y a un moment où il faut changer de machine. Ce n’est pas en soi un argument rédhibitoire contre les centrales nucléaires. Simplement l’évaluation du moment du remplacement par une nouvelle centrale est un compromis économique et technique complexe. Mais avec une volonté évidente et affirmée, des exploitants comme de l’Autorité de sécurité, de ne pas faire aucune concession sur la sécurité. Dans l’idéal, comme on n’a pas (encore) d’alternative au nucléaire présentant autant d’avantages écologiques qu’économiques (mais oui je dis bien avantages écologiques, voir http://www.lesobservateurs.ch/2015/06/13/nucleaire-laurent-kurt-lenergie-nucleaire-une-energie-quon-ne-maitrise-pas/, plus particulièrement le post Scriptum du commentaire no 7) on devrait construire de nouveaux réacteurs, à côté des anciens. Pour quelques générations encore. Il y aurait ainsi en permanence et en tandem un réacteur en démantèlement et un réacteur en exploitation. Ce serait la meilleure garantie pour une surveillance radiologique efficace et pour le financement long terme du démantèlement.
Faire peur au lieu d’informer
L’article de Christine Talos dans lematin.ch est un exemple frappant de traitement journalistique peu sérieux. Un réquisitoire à charge, mais pas d’analyse. Voir : http://www.lematin.ch/suisse/Fermez-Beznau-aussi-vite-que-possible/story/30318314/print.html
C’est pourtant une affaire importante par ses implications économiques et écologiques. Le citoyen-consommateur est concerné au premier chef : il paie le kWh, il est aussi, on l’oublie, le propriétaire à travers les collectivités publiques (Cantons et Communes) de toute l’infrastructure électrique. Au lieu de faire une analyse approfondie des éléments connus et des hypothèses, au lieu d’interroger les experts de sécurité et les responsables des installations, on fait du militantisme et de la diabolisation primaire avec des arguments de la propagande antinucléaire. Et on s’appuie sur un expert et gourou engagé, dont le discours tient de la secte religieuse, du nom de Dieter Majer.
Dieter Majer, un gourou engagé
J’ai déjà eu l’occasion d’analyser dans des articles précédents la faiblesse de l’argumentation Dieter Majer et l’usage complaisant qu’en font certains médias.
Voir :
http://www.lesobservateurs.ch/2014/02/15/dupont-5/
et
http://www.lesobservateurs.ch/2013/07/03/comment-le-temps-informe-sur-la-securite-nucleaire/
Apparence et réalité
Tout ce qui est dit à propos de Dieter Majer, et du (mauvais) usage journalistique qui en est fait, reste valable et je renvoie à ces deux articles.
Je me limite ici à un argument spécifique à l’article « Fermez Beznau ».
Extrait :
« Dieter Majer, ancien chef de la Sécurité en matière atomique au ministère allemand de l’environnement, explique qu’il n’y a pas de sécurité absolue en matière de nucléaire. Tout citoyen d’âge mûr a connu au moins trois accidents atomiques majeurs au cours de son existence – Three Mile Island (1979), Tchernobyl (1986) et Fukushima (2011), rappelle-t-il. «Et il faut être transparent envers la population: si une installation explose et que les vents sont favorables, la Suisse serait rayée de la carte», prévient-il. »
La réalité :
Three Miles Island n’a occasionné aucune contamination dangereuse malgré la fusion grave d’une partie du coeur. C’est accident est la démonstration de la capacité d’un réacteur à maîtriser une fusion de réacteur.
Tchernobyl résulte d’une expérience irresponsable conduite sur un réacteur dont le concept même de sécurité n’était pas acceptable
Fukushima est la conséquence d’un tremblement de terre suivi d’un tsunami monstrueux. Mais c’est aussi celle d’un sous équipement de sécurité : quatre dispositifs majeurs pour la sécurité manquaient (dispositifs en partie conçus d’ailleurs après analyse des évènements de Three miles Island). Le Japon avait reçu des offres de rééquipements (dont certaines de la Suisse) mais les avait refusées.
Le point essentiel : aucune centrale équipée comme les centrales suisses, allemandes ou françaises n’a jamais contaminé son environnement.
Mais pourquoi les pilotes de réacteurs et les experts de sécurité ne sont jamais invités par les médias?
Ils sont très présents dans le terrain et dans les centrales. Heureusement. Mais je rappelle le débat, exemplaire, sur la sécurité aérienne à l’occasion du crash dû à l’action suicidaire d’un copilote d’un Airbus A320 des German Wings. Débat exemplaire parce qu’il n’y avait aux micros des médias que des pilotes et des experts de sécurité. Voir à ce propos un autre article précédent dans Les Observateurs:
Force est de constater que sur le nucléaire, dont c’est bien en principe la sécurité qui fait débat, il n’y a jamais de pilotes de réacteurs ni d’experts de sécurité. On a surtout des agitateurs politiques. Qu’aurait gagné le citoyen au débat sur l’A320 si au lieu de professionnels compétents, il n’avait eu droit qu’aux gesticulations d’agitateurs politiques avec des discours du type : « Il faut interdire les Airbus, il faut une transition aéronautique, il faut des avions du type Solar Impulse… ».
Stigmatisation et amalgame : tout est permis contre le nucléaire
L’article de lematin.ch a fait l’objet de beaucoup de commentaires des internautes.
Un de ces commentaires mérite réflexion (citation) :
« Lorsque l’on voit comment les japonais ont menti à leur population en minimisant les conséquences de Fukushima, je ne vois pas en quoi nos élites (conseillées qu’elles sont par des experts à la solde du lobby nucléaire) seraient plus honnêtes. »
Ce commentaire est violent. Alors que tout azimut le mot d’ordre médiatique bien-pensant est pas d’amalgame et pas de stigmatisation, ce lecteur dit en clair et avec peu de nuances :
- les experts des autorités japonaises sont tous des menteurs
- toutes nos élites mentent aussi, elles sont achetées parce le lobby nucléaire
Quel exemple d’amalgame et de stigmatisation !
Je pense que l’article de lematin.ch à sa part de responsabilité dans ce commentaire excessif: on ne peut pas lui dénier un petit côté appel au meurtre…
Si les experts nucléaires, qu’on ne nous montre jamais (au fait comment leur faire confiance dans ces conditions ?) travaillaient sur la sécurité des centrales avec aussi peu de rigueur intellectuelle que certains journalistes et militants antinucléaires, alors les articles sur le nucléaire ne seraient pas des dissertations sur les risques hypothétiques de catastrophes sur le papier : nous aurions en Suisse des contaminations réelles à déplorer, voire des victimes.
La gestion des risques est plutôt un point fort du nucléaire. Cet technologie pourrait nous en apprendre beaucoup sur comment mieux gérer certains risques comme:
- le transport de matières dangereuses: les conteneurs blindés de transports sont soumis à des crash-tests par une locomotive lancée à 100 km/h
- la mise en sécurité des déchets toxiques: un inventaire fédéral recense 38’000 sites contaminés par des déchets spéciaux en Suisse, ex, Bonfol ou le mercure de la Lonza à Viège, alors qu’il y a zéro sites contaminés par de la radioactivité
Article publié sur LesObservateurs.ch:
JFD/13-08-20
COMMENTAIRES PUBLIES SUR LES OBSERVATEURS.CH
- Posté par Michel de Rougemont le 15 août 2015 à 15h42
Il y a peu d’industries auxquelles le vulgum pecus attribue le label de en soi dangereux pour la société : je n’y vois que le nucléaire et la chimie. Les organismes génétiquement modifiés ont récemment rejoint cette catégorie et le reste de l’agriculture est en train de suivre, à moins qu’elle ne soit certifiée bio. Les autres activités comportent bien sûr des dangers mais qui sont appréhendés comme maitrisés (p. ex. l’aviation) et qui semblent familiers.Aussi il n’est pas rare –c’est même devenu un stéréotype– que tout ce qui se passe dans ces effrayantes industries soit décrit comme mystérieux et caché. S’y ajoute une suspicion complotiste qui alourdi le trait ; l’image qu’a choisi LesObservateurs pour accompagner le titre de l’article est symptomatique, phénomène de sociologue ?
La culture de sûreté qui accompagne le nucléaire est quelque chose que ne comprennent pas les gens car ils sont très peu à en connaitre les tenants et aboutissants. Même chose pour la chimie, mais d’ elle on ne peut pas s’en passer du tout, donc on la tolère sans plus en savoir. Le lassant leitmotiv reste que tout ce qui est chimique est donc mauvais.
Ce que fait l’IFSN est vastement inconnu des non-spécialistes. Mais pour en savoir quelque chose il faut s’informer, s’y intéresser, y prendre du temps. Alors, par paresse ou imbécilité ou mauvaise foi, ou les trois, intervient le cercle vicieux de l’ignorance : moins j’en sais, moins j’ai confiance en ceux qui savent.
D’ailleurs il faut bien me garder d’en savoir plus, ça pourrait m’inciter à réviser mon opinion que j’avais déjà toute faite….
C’est dur de remonter une telle pente savonneuse
-
Réponse à Pierre.
D’abord, sur une de vos questions précises : « Pourquoi les résultats d’analyse et leurs mesures brutes faites depuis des semaines ne sont pas publiées? ». Sans connaître les détails du dossier il semble que l’IFSN, d’après une interview sur la RTS, a demandé une expertise à plusieurs spécialistes indépendants dont les travaux ne sont pas terminés.Je me concentre sur la question essentielle que vous soulevez, à savoir celle d’une éventuelle symétrie de fanatisme (pour appeler un chat un chat) entre les pros et les antis. Je vous remercie de me donner l’occasion d’y répondre et de le faire de manière courtoise.
Je pense que les apparences vous donnent raison. Pour beaucoup de citoyens préoccupés par la question du nucléaire il semble que dans ce débat on assiste à l’affrontement de deux fanatismes, celui des anti- et celui des pro-nucléaires. Et pour beaucoup il y a probablement une immense attente : celle d’un expert non fanatisé qui explique de manière convaincante ce qu’il en est réellement. Espoir passablement déçu.
Espoir déçu pour deux raisons. D’un côté, parce que simplement les experts compétents, et dits pros, ne sont pratiquement jamais interviewés et que la très grande majorités des articles de presse, depuis plusieurs dizaines d’années, ne relaient que les arguments des opposants. D’un autre côté parce que les critiques sont très frontales et stigmatisantes – de l’ordre de comment osez-vous vous enrichir en vendant des cancers – qu’il n’est pas facile de répondre avec toute la sérénité qui conviendrait.
C’est peut-être le cas avec mon article et je regrette si j’ai pu vous heurter.Y aurait-il donc une symétrie (malsaine dites-vous) de fanatisme chez les antis et chez les pros ?
Votre question est très au sérieuse et se pose depuis longtemps. J’essaie de ne pas me leurrer moi-même en essayant d’y répondre. Je crois qu’il y a une réponse possible avec quelques éléments objectifs et vérifiables. Les voilà :
1) il y a un fanatisme du côté des antis. Rem.: je désigne ici par anti le membre actif et militant d’une ONG ou d’un parti politique ouvertement antinucléaire. Il ne s’agit ici du citoyen inquiet tenté de voter oui à l’abandon du nucléaire.
Le fanatisme anti est caractérisé par deux éléments bien précis : a) le refus du nucléaire est absolu, c.à.d. a priori et inconditionnel et b) le soutien aux énergies renouvelables ou aux économies d’énergie (efficacité), ou aux deux est tout aussi absolu,
2) le fanatisme symétrique pour les pros consisterait à être a) dans l’approbation absolue du nucléaire, c.à.d. une acceptation a priori et inconditionnelle et b) dans une opposition absolue aux énergies renouvelables ou aux économies d’énergie ou aux deux.
Je vous le déclare très fermement : ce fanatisme symétrique n’est pas le mien, ni celui des professionnels du nucléaire que je connais. Ni des politiciens qui ont encore l’indépendance d’esprit, et le courage, de juger le nucléaire sur ce qu’il est.
Je ne suis pas de manière absolue, a priori et inconditionnelle pour le nucléaire. Parce que je ne l’accepte que sous certaines conditions de sécurité. Et je suis pour toutes les énergies et leur utilisation rationnelle. Toutes les options énergétiques doivent être additionnées, et non pas jouées les unes contre les autres. Je suis pour un œcuménisme énergétique et contre les guerres de religions. Et sur ces deux points il n’y a manifestement pas symétrie entre les pros et les antis.
Cette position est basée sur l’idée que le nucléaire n’est qu’une technologie, à risques certes, mais, comme toute technologie, n’est pas a priori bonne ou mauvaise. Ce n’est qu’un outil dont l’aspect bienfaisant ou nocif dépend de l’usage qui en est fait, c.à.d. des règles que la société se fixe pour une utilisation sûre et responsable, donc au final de l’homme qui gère cette technologie.
Pour moi la démarche noble de l’homme vis à vis d’une technologie à risques est de maîtriser les risques par le développement de bonnes règles et leur application soigneuse. Et non pas de pratiquer une interdiction a priori. L’interdiction c’est fuir le risque. C’est obscurantiste. Si l’humanité avait pratiqué l’interdiction comme méthode de sécurité, nous n’aurions ni feu, ni électricité, ni maisons, ni ponts, ni barrages, ni voitures, ni médecine, bref pas de civilisation. Donc pas d’énergie technique. Mais par contre, socialement, beaucoup d’esclaves.
En résumé : on ne devrait être ni pro, ni anti, mais s’accorder sur la sécurité exigée. Comme pour l’aéronautique ou la question n’est pas politisée parce dans le fond tout le monde est pour une aviation sûre.
Et là on est au fond du problème : il y a ceux qui veulent la sécurité (et même poussée) du nucléaire et il y a ceux qui veulent sa disparition. Constat simple : les militants antinucléaires (ONG ou partis politiques) n’ont jamais demandé dans leurs revendications la sécurité ou plus de sécurité du nucléaire : ils demandent systématiquement sa disparition.
Entre vouloir la sécurité ou la disparition du nucléaire, il n’y a pas de symétrie.
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Cher Monsieur Dupont,
Physicien comme vous, bien que nous nous sommes probablement croisés à l’EPFL, j’ai l’impression que vous tombez dans les mêmes travers que vous reprochez aux militants, à savoir les jugements hâtifs et sans nuances.
Mais à l’opposé,comme une sorte de symétrie malsaine.
Pour moi, il y a plusieurs questions à poser publiquement,notamment:
1) Pourquoi les résultats d’analyse et leurs mesures brutes faites depuis des semaines ne sont pas publiées?
2) Quid des conduites primaires hors cuve, certes moins irradiées mais dont la rupture pourrait laisser le coeur hors d’eau?
3) En cas de rupture de cuve, comment maintenir le refroidissement durant près d’1 an ? (cela ne me semble pas impossible mais l’exploitant devrait le montrer)Votre argument « aucune centrale équipée comme les centrales suisses, allemandes ou françaises n’a jamais contaminé son environnement. » n’est pas pertinent: elles sont très différentes entre elles (PWR / BWR) , et proches de celles qui ont eu des accidents sérieux; de plus, il y a eu plusieurs « near-miss », y compris en Europe!
C’est le moment de lever le nez du guidon et de se demander ce que le nucléaire nous apportera dans les prochaines années, à part des déchets peu gérables dans un sous-sol complexe et un retard dans une évolution inéluctable vers du 100% renouvelable.