L’Allemagne met sérieusement en œuvre l’abandon progressif de l’énergie nucléaire.
Qu’est-ce que cela signifie pour la Suisse ?
par Lukas Weber (*)
À la fin de l’année dernière, trois des six dernières centrales nucléaires de l’Allemagne ont été retirées du réseau. Ce faisant, le pays a suivi son plan de 2011 visant à éliminer complètement l’énergie nucléaire d’ici la fin de 2022.
Ces six centrales nucléaires sont parmi les plus grandes que l’Allemagne ait jamais construites. Elles ont produit environ 64 TWh d’électricité en 2019 (1 térawattheure représente un milliard de kilowattheures). C’était plus que la consommation totale d’électricité de la Suisse de 62 TWh. L’Allemagne retire donc en très peu de temps plus de production d’électricité du réseau européen que notre pays n’en consomme. En conséquence, l’approvisionnement européen en électricité perd un stabilisateur important. Quelles en sont les conséquences pour la Suisse ?
L’électricité bon marché – bientôt une chimère ?
L’Allemagne nous a fourni environ 8 TWh d’électricité en 2019, dont la majeure partie a été acheminée vers l’Italie, pays qui dépend des importations d’électricité. Avec 64 TWh d’électricité en moins, soit 11% de sa production totale, l’Allemagne ne sera guère en mesure de fournir de l’électricité à la Suisse à l’avenir, surtout pas lors des froides journées d’hiver où elle est le plus nécessaire. L’expansion de l’énergie solaire et éolienne ne pourra pas compenser cet écart, d’autant plus que la nouvelle production n’est pas basée sur la demande, mais varie selon l’heure de la journée et selon la météo, et que les systèmes de stockage d’électricité dans les ordres de grandeur requis ne sont de loin pas disponibles.
Nous devons donc supposer que la situation de l’offre en Allemagne et en Italie, et donc aussi chez nous, se détériorera brusquement d’ici la fin de cette année au plus tard. L’électricité à la prise, quand nous en avons besoin, à des prix constamment bas, cela pour une vie telle que nous la connaissons et l’apprécions aujourd’hui, deviendra alors rapidement une chimère.
Que peut faire notre pays pour se rendre moins dépendant de la politique énergétique de ses voisins ? D’une part, nous pouvons renforcer notre propre production, d’autre part, nous pouvons prendre des mesures pour protéger notre alimentation électrique des dommages causés par nos voisins.
Protéger notre réseau électrique
Les conditions d’autosuffisance de la Suisse sont bonnes. Notre production traditionnelle avec 40% d’énergie nucléaire et 60% d’hydroélectricité nous fournit de façon rentable et pratiquement sans CO2.
Avec le démantèlement de la centrale nucléaire de Mühleberg, 3 TWh de production fiable sont désormais perdus chaque année. Avec le démantèlement futur des centrales nucléaires Beznau 1 et 2, Gösgen et Leibstadt, ce seront 6 TWh, 8 TWh et 9 TWh supplémentaires par an qui seront un jour éliminés (au total 35% de notre production nationale). Outre l’hydroélectricité à grande échelle, dont on a largement épuisé le potentiel, les centrales au gaz naturel sont le remplacement le plus approprié, car elles fournissent de l’électricité de qualité similaire, c’est-à-dire régulièrement, en grande quantité et à faible coût. Il faut également espérer que nos centrales nucléaires actuellement actives pourront être exploitées pendant longtemps encore.
Protéger nos réseaux électriques de la déstabilisation par les pays voisins est un défi politique, juridique et technique, car une alimentation électrique moderne est basée sur des échanges à grande échelle. Cependant, cela ne peut fonctionner que si tous les partenaires des échanges adhèrent aux mêmes normes pour un approvisionnement sûr.
Le temps presse
Compte tenu des investissements qui sont maintenant nécessaires, notre politique actuelle de dépenses et de subventions doit être remise en question. L’expansion des installations solaires et éoliennes consomme de grandes sommes d’argent alors qu’elles contribuent peu à la sécurité d’approvisionnement. Dans le même temps, nous devons renouveler et étendre notre approvisionnement électrique existante pour les périodes où le soleil et le vent sont insuffisants. Construire les deux n’est ni économique et ni écologique.
Nous devons sans délai privilégier les investissements en faveur de la sécurité d’approvisionnement, introduire des conditions-cadres appropriées pour le recours à des centrales à gaz et de plans d’urgence pour un fonctionnement insulaire de la Suisse si des solutions à l’amiable avec nos pays voisins ne sont pas possibles. Pour que cela réussisse, tous les responsables doivent apporter leurs contributions : les parlementaires qui commandent et adoptent les lois, les offices de l’énergie qui les rédigent, et les associations entrepreneuriales et environnementales qui façonnent le débat public. Il faut que tous et toutes se dépêchent.
Lukas Weber est ingénieur, publiciste et président du groupe de travail Chrétiens + Énergie. Il a été membre du Comité référendaire contre la « Stratégie énergétique 2050 ».
(*) Paru en allemand dans l’édition n° 4 de Die Weltwoche du 27 janvier 2022.
Excellent article de Lukas Weber en traduction française ! Merci aussi à Christophe de Reyff.
Pourquoi ne pas construire maintenant Mühleberg 2, comme cela était prévu, puisque Verbois nucléaire ne s’est jamais réalisé après Lucens ?