Un quadruplement du prix de l’uranium est-il catastrophique ?

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M. Laurent Horvath a intitulé sa chronique « Les défis d’un renouveau nucléaire » dans Le Temps du 18 janvier 2024.

Il a indiqué que les 436 réacteurs en fonction consomment 65’000 tonnes d’uranium (mais sans en préciser la forme). De fait, il faut distinguer la production mondiale –, qui, selon la World Nuclear Association, a été de 58’201 tonnes de U3O8 en 2022 (soit un cube de 19 m de côté), soit l’équivalent de 49’355 tonnes d’uranium naturel métallique pur (soit un cube de 14 m de côté) – et la consommation annuelle du combustible nucléaire qui en résulte (voir ci-dessous).

Il faut répondre à la question en partant de l’énergie électrique effectivement produite dans le monde par tous les réacteurs nucléaires, soit, en 2022, près de 2’700 TWh d’électricité ; ce qui représente une consommation par fission nucléaire d’environ 310 tonnes (soit un cube de 2,5 m de côté) de l’isotope fissile U235, seul effectivement fissionné, présent seulement à 0,7% dans l’uranium naturel (soit environ 0,115 milligramme de U235 par kWh d’électricité, calculé avec un rendement de conversion thermique/électrique de 38%). Comme le combustible est enrichi à environ 4% en cet isotope, cette production nucléaire mondiale en 2022 a représenté une quantité de combustible (soit de l’uranium enrichi à 4%) de 7’700 tonnes (soit un cube de 7,5 m de côté). Partant de ce chiffre, la consommation d’uranium naturel nécessaire en amont représente environ 44’000 tonnes par an (soit un cube de 13 m de côté), soit 89% de la production mondiale de cette année-là. Les quatre réacteurs suisses à eux seuls (avec 23 TWh d’électricité produits en 2022) consomment environ 65 tonnes de combustible (donc de l’uranium enrichi à 4%) par an (soit un cube de 1,5 m de côté), ce qui a nécessité environ 370 tonnes d’uranium naturel (soit un cube de 2,7 m de côté), soit 0,75% de la production mondiale ci-dessus de 49’355 tonnes en 2022.

M. Horvath écrit aussi que le prix de la livre (bien sûr, de octaoxyde de triuranium naturel, U3O8) a quadruplé depuis 2020, dépassant actuellement les 100 dollars (précisément 106 dollars en ce 19 janvier 2024), ce qui donne un prix du jour de 233’000 dollars la tonne de U3O8, soit encore 275’000 dollars la tonne d’uranium naturel pur.

La question est celle-ci : est-ce une charge insupportable pour les exploitants des centrales nucléaires ?

Nous lisons dans son rapport annuel pour 2022 que, par exemple, la centrale de Goesgen qui a produit près de 8 TWh en 2022 pour un coût total effectif cette année-là (et non pas moyenné sur les années) de près de 680 millions, a ainsi produit son kWh en 2022 à un coût de 8,54 centimes et que seulement 9,2% de ce coût était imputable au combustible, soit 0,78 centime. Son combustible (environ 23 tonnes d’uranium enrichi à 4% consommées en 2022) a donc coûté 62,5 millions, soit 2,7 millions la tonne. Il faut bien sûr préciser que ce coût comprend non seulement le prix de l’uranium naturel exploité lui-même, en vue de l’enrichissement – soit 131 tonnes d’uranium naturel nécessaires pour un coût de 9 millions en 2022 (ce serait donc environ 36 millions au prix du jour) –, mais aussi et surtout le coût de cet enrichissement. Un calcul de sensibilité montre ainsi qu’une telle variation de 1 à 4 du prix de l’uranium naturel ferait passer le coût du combustible à 90 millions, soit 1,12 centime par kWh, soit 0,34 centime de plus que les 0,78 centime.

Christophe de Reyff

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2 Responses to Un quadruplement du prix de l’uranium est-il catastrophique ?

  1. Avatar de Christophe de Reyff Christophe de Reyff dit :

    Un lecteur attentif m’a demandé comment on arrive à ces valeurs étonnamment petites de ces cubes de seulement quelques mètres de côté.
    Il faut rappeler que la densité (plus précisément dit, la masse volumique) de l’uranium métallique est de 19,16 g/cm³ (grammes par centimètre cube, ou kilogrammes par décimètre cube, ou tonnes par mètre cube), celle du U3O8 est de 8,38 et celle du UO2 est de 10,97. Ces chiffres sont très élevés si on les compare à la densité de l’eau qui est de 1 kg/L, soit aussi 1 tonne par mètre cube. On donne ici aussi la valeur pour le dioxyde d’uranium, UO2, dont on n’a pas parlé ci-dessus, pour ne pas compliquer les choses. Mais il faut se souvenir que le combustible est généralement pratiquement utilisé sous la forme de cet oxyde, dans des capsules (« pellets ») confinées dans des gaines (actuellement, en zirconium, un élément transparent aux neutrons thermiques « lents » ; demain, elles seront en acier inoxydable pour les futurs réacteurs à neutrons « rapides »), formant un « crayon », dont un « assemblage », de 16 x 16 ou 256 crayons, constitue un « élément de combustible ». De fait, pour parler de volumes de combustible, il faudrait tenir compte des volumes géométriques de ces assemblages et pas seulement des volumes de la masse d’uranium (ou de dioxyde d’uranium) qui y est contenue, que l’on a donnée ci-dessus.
    Pour le calcul demandé sur les dimensions des cubes en question, il faut diviser les masses indiquées d’uranium (ou d’oxydes) par leurs masses volumiques, ce qui donne leurs volumes, dont on prend la racine cubique, s’il s’agit, par exemple, d’un cube, pour obtenir la longueur du côté.

  2. Avatar de conrad hausmann conrad hausmann dit :

    Acceptable !

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