La transition énergétique, mais quelle transition ?

Miracle ou compromis acceptables ?

Tels étaient le titre et le sous-titre de la  conférence qu’a donnée le 11 mai 2015 Jean-Marc Jancovici, invité du Club 44 à la Chaux-de-Fonds .

Ingénieur, diplômé de Polytechnique en 1984 et de l’École nationale supérieure des Télécommunications en 1986, Jean-Marc Jancovici est associé fondateur de Carbone 4 , société de conseil spécialisée sur les divers aspects (physiques, économiques, et sociétaux) de la transition énergétique. Il est fondateur et président du think tank The Shift Project, qui milite pour la décarbonation de l’économie. Professeur à Mines ParisTech, membre de divers comités scientifiques ou d’experts, il est l’auteur de six livres, dont « Changer le Monde − Tout un programme » (Calmann-Lévy, 2011), et du site de vulgarisation sur l’énergie et le changement climatique «manicore.com», et chroniqueur dans divers médias français.

Cette conférence pourra être intégralement réécoutée ici sur le site du Club 44.

En attendant cette possibilité, le soussigné présente ses impressions d’auditeur. Le don pédagogique de l’orateur est remarquable. Il a commencé par insister sur la loi de conservation de l’énergie et par  illustrer ce que représentent une énergie de 1 kWh et une puissance de 1 kW, la confusion étant omniprésente chez la plupart des personnes non averties. Ensuite il a montré comment l’Humanité s’est tournée vers les agents énergétiques divers pour assurer son développement. Les graphiques avec les développements historiques de l’utilisation de chacun d’eux et leur relation avec les PIB mondiaux montrent une corrélation entre eux fortement marquée . L’analyse par pays (France, USA, Chine, Allemagne, Suisse…) montre de grandes divergences.

La part des agents fossiles et particulièrement du charbon dans l’énergie primaire et dans la production d’électricité mondiale reste pourtant prépondérante. Sur tous les graphiques, il a fallu chercher presque à la loupe les parts des nouvelles sources d’énergie renouvelables, à part l’hydroélectricité. Les émissions de gaz à effet de serre, dont celles de CO2 dues à la production d’électricité par les agents fossiles, n’ont jamais été si élevées. Même l’Allemagne voit ses émissions croître à nouveau du fait de l’utilisation de lignite. La comparaison entre diverses sources de production d’électricité, avec leurs taux de charges allant de 10% à plus de 80%, a permis à l’auteur de magistralement démontrer qu’un accroissement de l’éolien ou du solaire, par exemple, s’accompagnera de la nécessité de doubler, voire quadrupler les capacités des réseaux électriques, et de nouvelles capacités de stockage gigantesques, puisqu’il faudra installer des capacités de production (en GW, ou gigawatts) d’autant plus grandes pour produire autant que les centrales classiques thermiques (en TWh, ou milliards de kWh) à agents fossiles ou nucléaires.

Jean-Marc Jancovici montre en conséquence que néanmoins les agents fossiles (pétrole et gaz, à l’exception du charbon encore surabondant et dont la consommation va dépasser celle du pétrole) ne sont pas loin de passer bientôt par un maximum d’utilisation, pour certains auteurs le pic étant déjà actuel ou quasiment dépassé.

La consommation mondiale de l’énergie est allée croissante, mais le prix de l’énergie est allé décroissant. Pourtant, on arrive à une contraction énergétique. Citons un extrait de son livre, Changer le Monde : « L’approvisionnement en énergie fossile devient contraint. Parallèlement, la décroissance du prix réel de l’énergie qui a marqué la civilisation industrielle depuis ses origines va probablement céder le pas à une croissance structurelle de ce prix, prenant en défaut par là-même à peu près tous les réflexes économiques que nous avons acquis en un siècle et demi…». Selon l’auteur, il faut se préparer à une sobriété énergétique pour faire face de façon rationnelle à cette contraction énergétique qui s’annonce.

La nécessaire décarbonation de l’énergie et donc aussi de l’électricité est la préoccupation majeure de Jean-Marc Jancovici. Pour les prochaines générations, il dit craindre beaucoup plus les conséquences certaines d’un dérèglement climatique de +5 °C que les improbables émissions radioactives d’un dépôt de déchets nucléaires enfouis devant, voire sous son jardin ! Ce qui a entraîné le public à manifester son étonnement par des questions sur l’énergie nucléaire auxquelles Jean-Marc Jancovici a toujours répondu avec tact et autorité. On a même pu voir projetées les pages de titre de deux des rapports annuels de l’UNSCEAR (United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation − Comité scientifique de l’ONU sur les conséquences des émissions radioactives) adressés à l’Assemblée générale des nations Unies, sur les catastrophes de Tchernobyl, de 2008, et de Fukushima, de 2013, (rapports avec les chiffres officiels que les media ne mentionnent jamais !), ainsi que les citations des conclusions des experts mandatés par l’ONU sur l’exacte intensité des effets sanitaires encore en cours sur place.

En regard, Jean-Marc Jancovici a rappelé les milliers de victimes annuelles dans les mines de charbon et dans les populations exposées à la pollution due aux centrales à charbon. Il a aussi mis en évidence la dangerosité du tabac du seul point de vue de la radioactivité (*).

La conférence a été suivie de plus d’une heure de discussions où Jean-Marc Jancovici ne s’est jamais laissé démonter par plusieurs questions insistantes sur la dangerosité de l’énergie nucléaire. À chaque fois il a su mettre en perspective les gains et les risques, en rappelant que la poursuite de l’amélioration de la sûreté des réacteurs rendait infondées bien des comparaisons.

* Mentionnons le plomb-210 et le polonium-210 présents dans le tabac, donnant une activité de ~1 Sievert pour 5’000 paquets de cigarette, soit 0,2 mSv (millisievert) par paquet (la dose, délivrée aux poumons d’un fumeur de 20 cigarettes par jour, est déjà de 65 à 80 mSv par an !), celle-ci s’ajoutant à la dose reçue naturellement (rayons cosmiques, radon-222, potassium-40, carbone-14, …) par le corps et l’environnement et artificiellement (rayons X, radiothérapies, …) par les traitements médicaux en Suisse, dose totale qui est de l’ordre de 5 à 6 mSv par an en moyenne en Suisse (**), soit entre 400 à 500 mSv dans une vie.

** Rappelons ici les résultats issus de la surveillance de la radioactivité en Suisse : les rayonnements radioactifs à proximité des centrales nucléaires suisses sont régulièrement contrôlés et les résultats sont publiés chaque année par la division de radioprotection de l’OFSP. En particulier, l’exposition due aux radiations des centrales nucléaires à proximité de ces dernières est inférieure à 0.01 mSv/an. Cela correspond à moins de 1/500e des doses individuelles moyennes d’irradiation reçues annuellement par la population suisse, celles-ci étant principalement composées des rayonnements dus au radon, des rayonnements cosmiques et terrestres et des irradiations médicales dues aux traitements ou aux examens.

 

 

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