Une « première » nucléaire ne rencontre que le silence assourdissant des médias…
Le savoir-faire français s’exporte. Mais lorsqu’il s’agit de nucléaire, mieux vaut le taire.
Nous reprenons volontiers ici l’article publié le 2 novembre 2018 par Michel Gay dans Contrepoints.
Le premier réacteur de « troisième génération +» (EPR) connecté au réseau dans le monde est d’origine française. Il a atteint sa pleine puissance le 30 octobre 2018 dans le silence assourdissant des grands médias. Seraient-ils gênés par un succès français, surtout en Chine ?
Caisse de résonance
Deux employés d’une centrale nucléaire se brûlent légèrement les mains avec un jet de vapeur (non radioactive), et ce fait devient un « évènement » consciencieusement rapporté dans les grands médias, y compris télévisés. Mais la première mondiale de la connexion au réseau, le 29 juin 2018 en Chine (Taishan), du premier réacteur nucléaire EPR, de conception française depuis 40 ans, est quasiment passée sous silence. Ni TF1, ni Le Monde, ni ARTE n’en ont fait leur Une. Il s’agit pourtant d’un évènement historique : c’est le premier réacteur occidental de nouvelle génération (GEN III+) à fonctionner au monde.
La moindre inauguration d’une « ferme » éolienne donne lieu à un rappel du nombre (surestimé !) de foyers alimentés par une électricité non carbonée (quelques milliers, mais en réalité aucun de manière sûre et continue…). En revanche, un réacteur comme l’EPR permettra d’alimenter en électricité fiable, sûre et décarbonée, plus de 4 millions de foyers. Mais qui s’y intéresse ? Il est certainement plus vendeur de se délecter des difficultés rencontrées sur l’immense chantier de construction du même réacteur EPR à Flamanville et de brocarder les « aristocrates de l’atome ».
Bad buzz en France, succès partout
Certes, Taishan, en Chine, c’est loin. Fukushima au Japon aussi, et c’est même encore plus loin. Pourtant, l’accident de la centrale de Fukushima (qui n’a provoqué à ce jour qu’un seul décès d’un collaborateur fortement irradié) suite au tsunami (qui a provoqué, lui, 20’000 morts) a été traité par les médias comme si cette centrale était à l’origine des victimes. Certaines associations antinucléaires, bien soutenues par de grands médias publics, célèbrent même des « anniversaires » de Fukushima tous les ans, en liant vicieusement (ou intelligemment selon le point de vue…) la centrale aux 20’000 morts du tsunami.
En Chine, premier marché nucléaire mondial, 16 réacteurs sont en construction. L’EPR de Taishan 1 est le quarantième réacteur à avoir été mis en service dans ce pays le 29 juin à 17 h 59 locales. Le lendemain, 30 juin (hasard du calendrier ?), le premier réacteur américain de « troisième génération + » (AP1’000) a été connecté au réseau à Sanwen, suivi par un autre du même type le 8 août, puis par un troisième le 24 août. Le premier réacteur AP1’000 connecté en fin juin a atteint sa pleine puissance le 14 août. Entretemps, début juillet, un réacteur « sinisé », dérivée du réacteur français de 900 MW (mégawatts), a été mis en service sur le site de la centrale nucléaire de Yanjiang qui compte désormais 5 réacteurs. Ça ne chôme pas l’été en Chine !
Maîtriser le cycle du combustible
Comme la France, la Chine veut maîtriser toute la chaîne du traitement du combustible nucléaire, de la fabrication au stockage. Un accord a été signé en juin 2018 avec ORANO (anciennement AREVA) qui participera à la construction d’une usine de retraitement du combustible usé sur le modèle de celles de La Hague, dans La Manche, et de Melox, dans Le Gard. La volonté de la Chine de suivre la même voie que la France dans la stratégie du recyclage du combustible montre la pertinence de ce choix fait il y a plus de 40 ans et notre expertise dans ce domaine.
Les grands médias « étourdis »
Les médias ont sans doute été « étourdis » par tous ces travaux d’Hercule en Chine. Ou bien sont-ils assommés au point de ne pas voir la montée du nucléaire dans ce pays et dans le monde ? Peut-être se bouchent-ils le nez devant cette réalité qui offusque leur parti-pris antinucléaire ? « Couvrez ce sein que je ne saurais voir ! » (Tartuffe de Molière). Il est tellement plus facile et réconfortant d’évoquer leurs investissements dans les éoliennes et les panneaux photovoltaïques (dont la Chine nous inonde !).
Le nucléaire en ordre de marche en France
Le Groupement des Industriels Français de l’Énergie Nucléaire (GIFEN) a été créé en juin 2018. Il est composé d’une trentaine d’acteurs du nucléaire et sera chargé d’établir une feuille de route pour la filière nucléaire et de porter sa voix en France et dans le monde. Peu de Français le savent, mais, depuis 2012, la France développe un petit réacteur modulaire compact (SMR pour Small Modular reactor) de 150 MW à 170 MW par module, dérivé du réacteur éprouvé K15 qui équipe nos sous-marins lanceurs d’engins à propulsion nucléaire. Il peut y en avoir 2 à 4 par site. Ce SMR est destiné à étoffer l’offre à l’exportation au côté du réacteur de moyenne puissance (ATMEA 1, 1’100 MW) dont 4 exemplaires ont été vendus à la Turquie, et du réacteur de grande puissance (EPR, 1’600 MW) vendu à la Finlande, la Grande-Bretagne et… à la Chine. L’Inde devrait acquérir 6 EPR dans les prochains mois et d’autres pays sont intéressés (Pologne, République Tchèque, Arabie-Saoudite).
En avant !
En France, les SMR revitalisent la filière nucléaire en favorisant le maintien des compétences de pointe, et en attirant les jeunes ingénieurs sur des projets innovants et concrets. Les composants seront assemblés et testés en usine, sur le modèle des chantiers navals, et non plus sur le chantier, ce qui pourrait réduire à 3 ans la construction après la pose du premier béton. La France n’est pas seule sur ce créneau et de nombreux projets SMR sont en cours dans le monde. La société américaine NuScale Power est la plus avancée pour le moment. Elle propose, dès 2025, des centrales multi-SMR qui pourraient accueillir jusqu’à 12 modules de 60 MW. Il y a aussi en France le projet du démonstrateur de réacteur surgénérateur de quatrième génération ASTRID, ainsi que les recherches internationales en cours pour un réacteur à fusion ITER à Cadarache.
Faire résonner le tambour du scandale pour dénoncer les défauts relève souvent d’un journalisme partisan et facile pour conforter une idéologie antinucléaire, et puis… « ça fait vendre ». Pendant ce temps, le travail remarquable d’équipes talentueuses et les grandes réussites techniques se déroulent dans le silence assourdissant des médias.
Que le premier EPR mis en service soit ignoré au profit de la nouvelle de l’inauguration d’une éolienne dans le jardin de Monsieur et Madame Schmourz ne surprend plus personne. Par conséquent, rappeler la caractère partisan de la presse BCBG est légitime.
On décèle par contre une petite faiblesse au dernier paragraphe. Le CEA, institution francaise, est bel est bien maître d’oeuvre de ASTRID. Dans la même phrase, le lecteur non informé pourrait penser que ITER est également sous tutelle francaise. Or ITER est une vaste collaboration internationale. Loin de moi l’intention de minimiser la contribution hexagonale au Tokamak qui se construit à Cadarache, mais l’auteur de l’article, emporté par son élan, donne à penser que ASTRID et ITER sont franco-francais, ce qui pour ITER n’est pas correct.