Même avec des installations photovoltaïques en montagne la puissance ne sera pas suffisante en hiver

Photomontage du projet d’installation photovoltaïque de Saflischtal-Grengiols avec une puissance-crête de 1’500 MWc à 2’400 m d’altitude. Photo : Projekt Saflischtal-Grengiols / CCN Häring — La demande quotidienne en électricité par rapport à la fourniture de puissance un jour d’hiver en février 2022.

Nous publions ici la traduction d’un article d’Emanuel Höhener, président du Carnot-Cournot Network – CCN, publié en allemand dans le mensuel Schweizer Monat de février 2023, cela avec l’accord de l’auteur et de l’éditeur.

Une pénurie d’électricité en hiver ne pourra pas être évitée grâce à des installations photovoltaïques dans les Alpes. La durée quotidienne pendant laquelle ces centrales peuvent fournir de l’énergie est trop courte. De plus, la politique de « zéro émission nette » ne fera qu’aggraver le problème.

Depuis l’été dernier, médias et politiques discutent d’une éventuelle pénurie d’électricité en hiver. Cependant, il serait illusoire de croire que la question est directement liée au conflit en Ukraine. Au contraire, la pénurie est d’origine interne, la cause résidant dans une politique énergétique complètement ratée. Le déficit des fournitures d’électricité hivernales a augmenté régulièrement au cours des dernières années et cela de façon considérable. Cela est arrivé parce que, depuis 2011, l’idéologie a pris le pas sur l’expertise dans la politique énergétique suisse. Le thème de la pénurie d’électricité prévisible a déjà été présenté dans des publications il y a une dizaine d’années. Cela n’a pas attiré l’attention, et l’embarque­ment du pays dans une nouvelle ère énergétique a été célébré de manière trop euphorique. [1]

Il a donc fallu attendre l’été 2022 pour que la menace de pénurie d’électricité attire l’attention des médias et de la politique et reçoive donc également l’attention de la population. Les politiciens, qui avaient aupa­ravant nié avec véhémence de tels scénarios, ont dès lors rapidement, et de manière inattendue, présenté des solutions sur la façon de faire face à la pénurie. Il s’agirait, entre autres, d’un développement signifi­catif des installations photovoltaïques (PV), en particulier sur et sur les côté des autoroutes, de la souve­raineté de la Confédération sur une mise à disposition temporaire de 10% de l’énergie accumulée dans les lacs de retenue, et du recours à des centrales à gaz d’appoint (qui, cependant, selon une annonce officielle, « ne devraient jamais être mises en service ») afin d’absorber les pics de consommation d’énergie.

L’idée de Peter Bodenmann, hôtelier à Brigue et ancien président du SP, de construire de grandes cen­trales photovoltaïques dans les Alpes, au-dessus de la zone de brouillard, a également trouvé un large soutien de la part des politiciens de divers bords. Bien sûr, ces mesures nécessiteront des subventions massives. Il convient de rappeler que, avant le vote sur la Stratégie énergétique 2050, en mai 2017, il avait été annoncé à la population suisse que, à partir de 2022, aucune subvention ne serait plus nécessaire pour continuer à développer l’approvisionnement en électricité, car les systèmes seraient autosuffisants.

Dans les Alpes aussi les journées d’hiver sont courtes

Pour les systèmes photovoltaïques alpins également, les jours sont plus courts pendant la période hiver­nale critique, ce qui laisse une lacune de production PV quotidienne. Cela est particulièrement vrai pour la  période allant de mi-novembre à mi-février. Le graphique ci-dessous compare la demande en puissan­ce du marché (soit la consommation, courbe noire) avec les contributions en puissance des différents moyens de production sur une période de 24 heures. D’une part, il y a les sources de puissance pour assu­rer la charge de base : les centrales nucléaires (en rose, la centrale de Mühleberg étant déjà exclue), les centrales thermiques conventionnelles (en bleu clair, par exemple, l’incinération des ordures, la biomasse et production combinée de chaleur et d’électricité) et les centrales au fil de l’eau (en bleu foncé, selon les don­nées statistiques pour la période hivernale). En outre, une partie considérable des besoins quotidiens flexibles est couverte par le turbinage de l’eau des barrages de retenue (en brun). Le déficit journalier de production résulte de la différence entre la consommation et la production et est indiqué par les rayures jaunes. Il est actuellement couvert par des importations d’électricité en provenance de l’étranger. La représentation dans le graphique correspond à des moyennes statistiques des jours de début février 2022 et est correcte dans les proportions.

La demande quotidienne en électricité par rapport à la fourniture de puissance un jour d’hiver en février 2022

Le graphique montre également le profil de puissance de l’installation photovoltaïque alpine prévue à Saflischtal-Grengiols, à 2’400 mètres d’altitude, avec une puissance nominale maximale de 1’500 mégawatts-crête (MWc, courbe verte). En ce qui concerne la durée sur la journée et le profil, la courbe est basée sur les valeurs de production de l’installation d’essai photovoltaïque alpine « Totalp » dans la région de Parsenn près de Davos, ajustée pour la période. La ligne verte pointillée correspond à l’hypothèse de 5 installations de cette même taille et même situation. Notons en particulier ceci : l’augmentation de la puissance photovoltaïque augmentera certes l’amplitude de la production, mais pas son étalement temporel, constatation qui s’applique de façon générale à toute installation photovoltaïque. Par conséquent, des lacunes de puissance subsisteront pour tout le reste de la journée, qui devront être comblées par des systèmes d’appoint très coûteux, tels, par exemple, d’énormes systèmes de stockage supplémentaires de pompage-turbinage.

Les partisans des installations photovoltaïques alpines misent sur le fait que leur production permettrait de retarder la vidange des bassins d’accumulation et ainsi d’atténuer, voire d’éliminer la pénurie d’électricité hivernale. Cette approche présente deux erreurs fondamentales : premièrement, elle suppose que la pénurie d’électricité est avant tout une pénurie d’énergie. Or, un déficit énergétique en janvier ne peut pas être résolu par la production d’énergie au printemps – car la puissance est demandée en janvier. Deuxièmement, les partisans ne tiennent pas suffisamment compte du fait que les journées d’hiver sont courtes également dans les Alpes.

Le marché de l’électricité a besoin de puissance au moment-même de sa consommation. Le graphique montre qu’une installation photovoltaïque alpine ne pourrait fournir de l’électricité que pendant environ 7 heures par jour pendant la période critique. En revanche, le marché a besoin d’une contribution de puissance flexible durant environ 19 heures de la journée. Il resterait donc une lacune de production quotidienne d’environ 12 heures. Il faut également tenir compte du fait qu’il y a aussi des périodes météorologiques  de mauvais temps dans les Alpes, c’est-à-dire des jours où même les installations photovoltaïques alpines ne produisent rien du tout.

Sur la base des valeurs moyennes statistiquement déterminées des heures d’ensoleillement de la mi-novembre à la mi-février, les périodes de production PV effectives peuvent être calculées et comparées au temps de consommation à couvrir ; on constate que 75 à 80% de la durée requise ne serait pas couverte. Si l’on voulait compenser ce manque de puissance par une production photovoltaïque supplémentaire et un stockage hydroélectrique d’appoint, des stations de pompage d’environ 16’000 mégawatts (MW) seraient nécessaires pour pomper assez d’eau de stockage durant 25% du temps, de façon que cela permette de faire fonctionner des turbines d’une puissance de 4’000 MW pendant environ 15 heures par jour. À titre de comparaison, la production électrique totale des centrales nucléaires en Suisse est actuellement de 2’960 MW. En conclusion, cette approche serait théoriquement réalisable, mais serait impossible d’être mise en œuvre.

Les besoins devraient encore augmenter considérablement

Des questions se posent également en matière de protection du paysage. Le photomontage donne une idée des besoins en surface de terrains pour le projet Saflischtal-Gengiols. Théoriquement, ce seraient environ 14 installations de ce type qui seraient nécessaires en Suisse pour compenser le manque de puissance en hiver.

Ces considérations ne tiennent pas encore compte de la demande croissante de puissance électrique causée par la politique de « zéro émission nette ». Si l’ensemble du parc de voitures particulières devait être converti en véhicules électriques (4,7 millions de véhicules à fin 2022) et que chaque voiture parcourrait 12’500 kilomètres par an, ce sont 14,7 térawattheures (TWh, milliards de kWh) par an qui seraient nécessaires pour les recharges aux bornes électriques ad hoc. [2] Étant donné que 90% des véhicules électriques sont rechargés la nuit, ce sont 13,3 TWh qui devraient être disponibles de 21 heures à 4 heures du matin. Cette énergie devrait être produite la nuit, lorsque la production photovoltaïque n’est jamais disponible. Une puissance nette de 4’600 MW devrait être disponible, ce qui correspond au déficit énergétique hivernal actuel.

Il faut malheureusement le dire ici : les politiciens doivent réviser leurs opinions. Au lieu de défigurer d’immenses zones avec des parcs solaires, qui devraient encore être complétés par d’énormes installations de stockage intermédiaires afin d’assurer la sécurité de l’approvisionnement, il serait plus judicieux, économiquement et écologiquement, de miser sur des solutions alternatives qui sont capables d’assurer une puissance de façon continue. C’est pourquoi je suis convaincu que l’option de nouvelles centrales nucléaires doit être sérieusement examinée. Toute autre voie n’est qu’un vœu pieux. Et les vœux pieux ne suffiront pas à éliminer les véritables pénuries dans l’alimentation électrique qui vont se présenter.

Emanuel Höhener est ingénieur en génie mécanique et maritime (dip. Ing. ETHZ, CMarEng) et président du réseau Carnot-Cournot.

 

[1] « La sûreté d’approvisionnement – du court-circuit politique au blackout », divers auteurs, CCN Verlag, ISBN-978-033-06869-8.

[2] Schweizer Monat, édition de décembre 2022 : « L’électricité photovoltaïque ne suffira pas à électrifier toutes les voitures ».

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