Production éolienne suisse en hiver :  une utilité très marginale

J-B. Jeanneret, Paysage Libre Vaud, 4.02.2023, jbernard.jeanneret@icloud.com

En 2050, la production électrique Suisse devrait laisser un manque de 9 TWh en hiver concentré sur les mois de décembre, janvier et février [1].

SuisseEole et l’Office fédéral de l’Énergie (OFEN) fondent la nécessité d’un parc éolien capable de produire 4.5 TWh d’énergie électrique, parce que 3 TWh le seraient en hiver. Ils omettent de préciser qu’ici “ l’hiver “ couvre 6 mois d’octobre à mars, alors que la période critique ne dure que 3 mois.

Une analyse simple montre que la contribution éolienne réellement utile en hiver s’élèverait à 1.5 TWh si 4.5 TWh étaient produits annuellement, pour un coût de 5.5 milliards de francs. 

De plus, cette production ne sera pas atteinte à cause de la surestimation avérée de productivité faites en 2013 [4], et jamais mise à jour par l’OFEN [4]. Il restera 0.7 TWh de production lourdement intermittente et volatile pour les trois mois d’hiver critiques, soit 8% du manque hivernal de 9 TWh.

La production hivernale réellement utile sera donc le quart de ce à quoi prétendent SuisseEole et l’OFEN.

La basse qualité de la production éolienne ne justifie ni son coût ni la dégradation de notre environnement naturel écologique et paysager par 750 machines de plus de 200m de haut et de 120 à 140m diamètre. 

Les 9 TWh manquants seront compensés de fait principalement par du gaz, fossile ou vert.

Les milliards dédiés à l’éolien (subventionnés pour l’essentiel) serait mieux investis dans la production et le stockage de gaz décarboné, qui offrirait une production totalement pilotable.

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Resumé

Après avoir épuisé plusieurs arguments, SuisseEole et l’Office fédéral de l’Énergie (OFEN) essaient de justifier l’existence d’un parc éolien important en Suisse par l’argument d’un supplément de production hivernale, supposé être une contribution cruciale à la compensation du manque hivernal, sans s’en justifier de manière précise et un tant soit peu élaborée.

Nous montrons ici que cet argument s’évapore dès lors que l’on entre un peu dans les détails. L’OFEN espère une production de 4.5 TWh en 2050, pour un tiers en été et deux tiers en hiver, le vent étant plus fort en hiver.

En substance et hors intermittence du vent discutée plus bas, la production serait en moyenne à peu constante près constante d’avril à septembre (6 mois “d’été“) pour un total de 1.5 TWh, et constante aussi d’octobre à mars (6 mois “d’hiver“) pour un total de 3 TWh. 

  • La Suisse devra produire 90 TWh/an en 2050. Les productions décarbonées laisseront un manque hivernal de 9TWh pendant 3 mois, à compenser par des centrales à gaz de synthèse et/ou fossile. On trouve un scénario pour 2050 bien développé dans [1].
  • SuisseEole cache le fait que le manque hivernal est concentré sur trois mois (de décembre à février). Il faut diviser par deux la production éolienne hivernale utile, soit 1.5 TWh, et donc 17% seulement des 9TWh manquants.
  • Une production éolienne de 4.5 TWh en 2050 est un objectif de l’OFEN qui date de plus de 10 ans [4]. Depuis, il est devenu évident que les prévisions de production étaient basées sur des vents exagérément optimistes. L’argument récent d’une productivité 2-3 fois meilleure qu’en 2012 est fausse. La productivité des machines Enercon d’aujourd’hui est supérieure de 20% à celles de 2010.
  • A quoi il faut ajouter les nombreux projets rejetés en votation pour nuisances écologiques ou environnementales, et ceux abandonnés après étude de productivité sérieuse. Le potentiel annuel restant est de l’ordre de 2 TWh. Il reste donc 0.7 TWh pour les 3 mois de manque hivernal. Et donc une contribution marginale de 8% seulement aux 9 TWh manquants.
  • L’alliance climatique plafonner la production annuelle à 1.5 TWh, soit 0.5 TWh durant la période critique. Et donc 6% des 9 TWh manquants.
  • De plus, la variabilité de la production éolienne, en temps et en intensité, est très importante, plus que celle de toutes les autres sortes de production. Même en hiver, il est fréquent que la production d’un mois soit plus faible que la moyenne estivale.
  • Cette variabilité est telle que même une grosse unité de pompage-turbinage comme le Nant de Drance [3] ne pourrait pas la réguler utilement.

La production de 4.5 TWh/an demande l’installation de 750 machines (puissance entre 3 et 4 MW) de plus de 200m de haut et de 120 à 140m diamètre.  La basse qualité de cette production ne justifie pas une pareille dégradation de notre environnement naturel et paysager. Ni son coût de plus de 5 milliards de francs.

Production électrique éolienne hebdomadaire en moyenne sur les années 2015 à 2022 (8 ans)

Il n’existe pas de modèle précis de production éolienne en fonction de la saison en Suisse.

Et le peu de machines installées dans le pays donne une image imprécise et peu fiable. Mais on peut utiliser les données de production de nos voisins français et allemand (source : ref. [3]).

La figure 1 montre les productions hebdomadaires française et allemande en moyenne sur huit ans (Source : Institut Fraunhofer [3]). Une variabilité d’une semaine à l’autre reste présente même si elle est fortement réduite par rapports aux productions annuelles (Fig. 2). Cette variabilité reste aussi assez bien corrélée entre les deux pays.

Le modèle toujours mis en avant par SuisseEole et l’OFEN pour la Suisse, 4.5 TWh/an produits dont les deux tiers – 3 TWh – sont produits en hiver et le reste – 1.5 TWh/an – en été, est indiqué par la ligne noire de la Fig.1. Ce modèle est grossièrement correct si l’on admet que l’hiver et l’été durent chacun 6 mois. Il reproduit la production mesurée en France et en Allemagne durant l’hiver proprement dit (3 mois, décembre-février). On note cependant que le modèle surestime la production en début d’automne (semaines 40-46), et la sous-estime au printemps (semaine 16-20). 

Figure 1:

Variation intermittence hebdomadaire de la production éolienne

La figure 2 donne les productions hebdomadaires allemande et française en 2022, en échelle relative.

En dépit de sa large production – 36 TWh/an – sur un territoire 14 fois plus étendu que le nôtre, la production française présente une variabilité importante même en moyenne hebdomadaire. Il en est de même pour l’Allemagne.

En dépit de l’éloignement et des différences géographiques, les fluctuations sont similaires et surtout relativement bien en phase dans les deux pays (mois de janvier et de novembre faibles dans les deux cas).

On peut donc utiliser ces données pour la Suisse qui est soumise aux mêmes régimes de vent que ces deux voisins – la Suisse est séparée de ses voisins italien et autrichien par la barrière alpine.

Figure 2 :

La variabilité journalière de la production éolienne française

La distribution journalière mesurée de la production éolienne française est accessible avec le site Energy-charts [3]. Ce site présente la production d’autres pays et celles des autres productions électriques.

La figure 3 montre la production française journalière pour la période du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022. On y perçoit l’ampleur de la variabilité en intensité et en temps, souvent de tout à presque rien en moins d’un jour. 

On note pour l’hiver 2021-2022 la très faible production en janvier – plus faible que celle des mois d’été. Et celle relativement faible de décembre. Donc, deux mois faibles sur les trois de la période attendue de manque hivernal.

La variabilité de la production éolienne, en temps et en intensité, est très importante, plus que celle de toutes les autres sortes de production électrique. Même en hiver, il est fréquent que la production d’un mois soit plus faible que la moyenne estivale.

Figure 3:

Production et consommation en 2050, contribution de l’éolien

La figure 4 présente de manière schématisée la consommation électrique anticipée pour 2050, 90 TWh, et donc 247 GWh/jour. Les chiffres utiles ici sont extraits du modèle très élaboré de R. Nordmann et Swissolar [1]. Ils sont donnés plus bas. Voir aussi le graphique 33 de [1]. La présente discussion est centrée sur le manque hivernal. La consommation (toute la surface de la figure) et la production (surface verte de la figure) sont donc montrées ici égales et constantes sauf en hiver.

Le manque attendu de 9 TWh est dû à la plus forte consommation en hiver et à une plus faible disponibilité de la production. Il est présenté par le trapèze blanc de la fig.4.

La production éolienne française utilisée ici est celle de la fig.3, normalisée à la production suisse de 4.5TWh espérée par l’OFEN en 2050. Elle est présentée en rouge.

Les données éoliennes journalières courent du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022.

Figure 4:

Production annuelle90 TWh = 90’000 GWhY.c. manque hivernal
Production journalière246 GWhProduction/an divisée par 365
Manque hivernal9 TWhSource [1] en particulier
Production éolienne / an4.5 TWh/anStratégie énergique 2050+, 2022 
Production éolienne / jour12.3 GWh/jourMoyenne sur l’année
Capacité du Nant de Drance20 GWhTemps de pompage : 22 h

Les productions autres que l’éolien présentent aussi des irrégularités, mais aucune ne présente d’aussi fortes variations à court terme que l’éolien, ni avec autant d’imprévisibilité. La production photovoltaïque en particulier varie du tout à rien entre le jour la nuit. Mais c’est prévisible, et la consommation pourra y être ajustée de manière stable.

On peut quantifier la variabilité de production éolienne d’un chiffre : la production française est faible – entre 10% et 30% de son maximum – pendant 70% du temps. Ce serait moins bien en Suisse où les vents plus faibles accentuent le phénomène.

La figure 4 montre aussi qu’en dépit de sa performance marginale, la production éolienne ne pourrait guère être régulée par le complexe de pompage-turbinage du Nant de Drance, même si ce dernier y était prioritairement dédié. L’usine remplit le bassin supérieur en pompant l’équivalent de 20GWh en 24h (voir la figure). La restitution en turbinage est faite aussi en 24h.

Discussion des résultats

Le manque de production hivernal présenté dans la fig.4 s’élève à 9 TWh et s’étend sur 5 mois de novembre à mars, mais avec un maximum prononcé en janvier. 

La production éolienne ‘ hivernale ’ s’élèverait à 3 TWh sur 6 mois, pour une moyenne mensuelle de 0.5 TWh/mois (hors fluctuations, voir plus haut). Pondérée par la courbe de manque hivernal (le trapèze blanc de la fig.4), cette production jugée cruciale serait donc de 1.5 TWh/an, soit 34% des 4.5 TWh annuels.

Durant la période critique et en pourcentage du manque hivernal de 9TWh, cette production s’élève à seulement 17% (1.5 / 9 TWh).

Une production éolienne de 4.5 TWh en 2050 est un objectif de l’OFEN qui date de plus de 10 ans [4]. Depuis, il est apparu évident que les prévisions de production étaient basées sur des vents exagérément optimistes. A quoi il faut ajouter les nombreux projets rejetés en votation pour nuisances écologiques ou environnementales, et ceux abandonnés après étude de productivité sérieuse. Le potentiel annuel restant est de l’ordre de 2 TWh. Il reste donc 0.7 TWh pour les 3 mois de manque hivernal. Et donc une contribution marginale de 8% seulement aux 9 TWh manquants. 

L’alliance climatique propose une production annuelle maximale de 1.5 TWh, soit 0.5 TWh durant la période critique. Et donc 6% des 9 TWh manquants.

Conclusions

La contribution hivernale importante de l’éolien serait donc limitée à 1.5 TWh si 4.5 TWh étaient produits annuellement (valeur optimiste de l’OFEN, voir résumé).

Le coût du parc serait de 5.5 milliards de francs (750 machines de 3-4 MW, 15ct/kWh). Seul un tiers des kWh seraient importants. Ce coût est trop élevé pour cette petite contribution réellement utile à quoi s’additionnent des nuisances multiples.

Par ailleurs surestimé, ce potentiel doit encore être divisé par deux.

L’investissement correspondant serait plus utilement dirigé vers, par exemple, la production et le stockage de gaz de synthèse neutre en CO2, qui permettrait de produire de l’électricité à la demande en hiver.

Références

[1] Roger Nordmann, avec SwissSolar – Le plan solaire et climat, Éditions Favre, 2019.

[2] https://www.alpiq.ch/fr/production-denergie/centrales-hydroelectriques/centrales-de-pompage-turbinage/nant-de-drance

[3] https://energy-charts.info/charts/energy/chart.htm?l=fr&c=FR&chartColumnSorting=default

[4] Perspectives énergétiques 2050, Résumé, Octobre 2013.

https://www.bfe.admin.ch/bfe/fr/home/politique/strategie-energetique-2050/documentation/perspectives-energetiques-2050.html

[5] Alliance Climatique, 2019

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Un commentaire pour Production éolienne suisse en hiver :  une utilité très marginale

  1. Cette étude concernant la production éolienne attendue en Suisse est certes très technique pour le grand public, mais absolument remarquable par ses conclusions et ses chiffres réels et précis. Merci aussi à J.-B. Jeanneret pour la présentation de Nant de Dranse.
    André Durussel, retr. d’Alpiq CH.

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