Le TJ de 19 :30 de la RTS du 29-03-2023
https://www.rts.ch/play/tv/19h30/video/19h30?urn=urn:rts:video:13903987
(dès t = 17 :35)
a montré deux des défauts graves du débat nucléaire. Ce débat est fortement politisé, il touche une activité industrielle complexe. Une décision politique ne peut certes pas être prise par les experts, mais une information solide en provenance d’experts qualifié doit être fournie aux décideurs et à la population. C’est la démocratie et l’intérêt général qui sont en jeu. Problème : la diffusion d’une information solide se heurte à deux difficultés :
- les experts du monde scientifique sont divisés en deux camps antagonistes : ceux qui font de la science et ceux qui font du militantisme au profit de préférences personnelles ou idéologiques
- les médias tendent plus souvent leurs micros aux scientifiques militants de la « bonne » cause plutôt qu’aux scientifiques détenteurs de connaissances bien établies et vérifiées.
La question technique soulevée en substance dans cette édition du TJ par Philippe Revaz : est-il possible de remplacer TOUT le nucléaire suisse par QUE des kWh renouvelables (hydreuliques, solaires et éoliens) ? En particulier, le soleil et le vent n’étant pas toujours disponibles, est-il possible de stocker cette électricité intermittente quand elle est disponible pour la redistribuer quand elle manque ? La réponse confirmée et étayée par plusieurs rapports scientifiques sérieux est : non, on ne peut pas. On pourra probalement un jour, quand certaines recherches auront abouti, on ne sait pas encore quand.
L’expert questionné est le professeur EPFL Christophe Baillif : il répond oui, c’est possible. Sans citer les rapports disponibles qui disent le contraire et sans présenter d’autres calculs : il fait un discours qui n’est basé que sur des convictions.
Le télespectateur de la RTS ne saura rien ce soir là de la réalité scientifique derrière cette question.
Explications.
Nous avons essayé de les donner en détails dans cet article sur ce site du 30-01-2023 :
« Électricité : le point sur une situation difficile »
https://clubenergie2051.ch/2023/01/30/electricite-le-point-sur-une-situation-difficile/
Cet article essaye de décrire les causes derrière les menaces de pénurie et de forte hausse des prix de l’électricité. Un point décisif : il est montré pourquoi la fameuse Stratégie Énergétique 2050 (SE2050) de la Confédération, qui veut remplacer TOUT le nucléaire par QUE du renouvelable, n’est pas réalisable. La question clef est celle de l’absence, aujourd’hui et à moyen terme, de moyens de stocker toute l’électricité renouvelable nécessaire. Avec du pompage-turbinage.hydraulique il y faudrait 10 X le volume du bassin de Grande.Dixence. Or le nouvel aménagement de Nant-de-Dranse ne fait que 1/10 de ce volume. Et avec des batteries Tesla, la production mondiale de Lithium ne suffirait pas pour la seule Suisse. On fait une liste, assez longue et pourtant non exhaustive d’ailleurs, des études scientifiques disponibles qui démontrent cette impasse. Nous avons relevé le fait politique majeur de cette affaire : la volonté de la Confédération et de son Office fédéral de l’Énergie (OFEN) d’ignorer ces études. Pire encore, un certain nombre de ces études ont été élaborées par un excellent centre de compétences multi-énergie dont dispose la Confédération : l’Institut Paul Scherrer (PSI) à Würenlingen, institut annexe des écoles polytechniques fédérales. L’OFEN a demandé au PSI, avant la votation de 2017 sur la SE2050, de rester discret sur ses études.
Si la responsabilité principale d’écarter les « calculs d’ingénieurs » de la réflexion de politique énergétique est le fait de la Confédération, il y a, dans ce contexte, un jeu des autres acteurs impliqués dans débat, jeu qui contribue à la confusion générale. Parmi ces acteurs, deux catégories influentes : 1) la part des scientifiques qui font du militantisme au profit de leurs préférences personnelles et 2) les médias, particulièrement en Suisse romande qui ne tendent leur micro qu’à cette catégorie de scientifiques militants.
À noter, concernant la RTS, dans cet article nous avions mentionné ces mêmes faiblesses dans l’émission de Temps Présent du 8-12-2022, avec le professeur Stéphane Genoud de la HESSO-Vs :
« Coupures d’électricité, peur sur la ligne »
Nous avons écrit à plusieurs responsables de la RTS et de Temps Présent pour leur faire part de nos analyses. Aucune réponse.
Nous constatons simplement que la même dérive se répète avec ce TJ du 29-03-2023 : on sollicite un scientifique, titré peut-être, mais qui n’exprime que des convictions personnelles et non étayées.
On peut comprendre qu’il ne soit pas facile pour les journalistes, qui ne sont pas eux-mêmes experts, de trier les avis fondés et les autres. Ils ne disposent en général pas du temps et des moyens pour faire des investigations approfondies. Mais ils voient bien qu’il y a des avis divergents parmi les experts : leur devoir serait au moins de nous en informer. Au lieu d’assurer un rôle de relai fiable entre les diverses analyses disponibles et le public, ils fonctionnent comme un filtre sélectif, et complaisant, à l’égard des convictions qui leur plaisent. Notons aussi une défaillance des Académies des sciences : ce serait leur devoir de constater les divergences entre experts et trier entre les analyses fondées et les convictions personnelles. L’académie des sciences l’a fait en France, pas en Suisse (plus sur l’article évoqué plus haut).
Il faut enfin bien voir que si on se trompe, si on renonce au nucléaire par manque d’information, les conséquences seront douloureuses : nous manqueront d’électricité ou nous devrons recourir à des centrales fossiles et recarbonner notre électricité. L’Allemagne en donne un exemple éclairant.
Un espoir : Albert Rösti, nouveau Conseiller fédéral en charge de l’énergie, connaît bien le dossier et les réalités scientifiques. Il s’est à plusieurs reprises exprimés clairement et courageusement sur ce sujet. Mais il n’est pas sûr qu’il puisse surmonter les oppositions politiques et la pression de l’opinion publique. D’où l’importance d’une opinion publique bien informée : cet épisode du TJ de la RTS du 29-03-2023 est donc préoccupant.
L’angoisse du scientifique.
Un dernier point : le scientifique cherche en principe la réalité scientifique derrière une question complexe. Il peut arriver que cette réalité ne soit pas (encore) entièrement connue au moment où il s’exprime. Il cherche alors le meilleur état des connaissances du moment, et aussi l’état des incertitudes, il peut en demeurer beaucoup. Normalement un scientifique a donc souvent en lui une angoisse lorsqu’il essaie de comprendre et d’expliquer la réalité. Angoisse causée par cette question : ce que je crois comprendre, et que j’essaie d’expliquer, est-il vraiment le reflet de la réalité ou celui de mes préférences et de ma subjectivité ? Un scientifique a donc d’abord de l’humilité, et de l’angoisse, par rapport à la connaissance. Certains scientifiques semblent ne pas connaître cette angoisse.
JFD / 31-03-2023
Post-Scriptum
J’oubliais: le plus fou dans cette édition du TJ c’est cette « histoire » selon laquelle la centrale nucléaire de Lucens aurait été réalisée pour enrichir de l’Uranium destiné à une bombe atomique souhaitée par l’armée suisse. De nombreux anciens de cette centrale sont encore en vie aujourd’hui, dont son directeur Jean-Paul Buclin, à qui j’ai téléphoné. Il a éclaté de rire.
Voilà ce que m’écrit un ancien opérateur de la centrale de Lucens:
« Mais ce survol historique rapide au sujet du « retour du nucléaire » véhiculait ainsi auprès du grand public une confusion encore plus grave: celle de mélanger sciemment le nucléaire civil et militaire, avec Paul Chaudet et …la Centrale de Lucens ! Comme désinformation tendancieuse au sujet de notre avenir énergétique, la TSR est vraiment la spécialiste. C’est une bien triste réalité. »
Bonjour,
Excellent article. Mais veuillez svp corriger le lien après
« Électricité : le point sur une situation difficile »
Merci
Kurt Sager
C’est corrigé, merci Monsieur Sager.
Excellents commentaires après un récent TJ de 19h30 au sujet de notre avenir énergétique.