Par Michael Shellenberger
L’année dernière, les médias ont publié de belles histoires sur la baisse du prix des panneaux solaires et des éoliennes. Ceux qui lisent ces histoires ont naturellement l’impression que plus nous produisons d’énergie solaire et éolienne, plus les prix de l’électricité baisseront.
Et pourtant ce n’est pas ce qui se passe.
En fait, c’est le contraire.
Entre 2009 et 2017, le prix des panneaux solaires (par watt installé) a diminué de 75% alors que le prix des éoliennes (par watt installé) a diminué de 50%.
Et pourtant, pendant la même période, le prix de l’électricité dans les pays ou régions qui ont déployé des quantités importantes d’énergies renouvelables a augmenté de façon spectaculaire.
Si les panneaux solaires et les éoliennes sont devenus tellement moins chers, pourquoi le prix de l’électricité a-t-il augmenté au lieu de diminuer ?
Les prix de l’électricité ont augmenté de :
- 51% en Allemagne lors de l’expansion de l’énergie solaire et éolienne de 2006 à 2016
- 24% en Californie pendant la construction de son énergie solaire de 2011 à 2017
- plus de 100% au Danemark depuis 1995, date à laquelle ce pays a commencé à déployer des énergies renouvelables (principalement issues du vent).
Une hypothèse pourrait être que au fur et à mesure que l’électricité solaire et éolienne devenait moins chère, d’autres sources d’énergie comme le charbon, le nucléaire et le gaz naturel devenaient plus chères, éliminant ainsi toute économie et augmentant le prix global de l’électricité.
Mais, encore une fois, ce n’est pas ce qui est arrivé.
Le prix du gaz naturel a baissé de 72% aux États-Unis entre 2009 et 2016 en raison de la révolution des gaz de schiste.
En Europe, les prix du gaz naturel ont baissé d’un peu moins de la moitié au cours de la même période.
Le prix du nucléaire et du charbon dans ces régions durant la même période était globalement stables.
Les prix de l’électricité ont augmenté de 24% en Californie au cours de la construction de l’énergie solaire de 2011 à 2017.
Une hypothèse pourrait être que la fermeture des centrales nucléaires a entraîné une hausse des prix de l’énergie. En effet, les leaders de l’énergie nucléaire (Illinois, France, Suède et Corée du Sud) bénéficient de l’électricité la moins chère au monde.
L’électricité en Illinois est 42% moins chère que l’électricité en Californie tandis que l’électricité en France est 45% moins chère que l’électricité en Allemagne alors que le prix des principaux carburants de remplacement, le gaz naturel et le charbon, est resté bas, malgré une demande accrue pour ces deux carburants en Californie et en Allemagne.
Le solaire et le vent restent les principaux suspects derrière les prix élevés de l’électricité.
Mais pourquoi des panneaux solaires et des éoliennes moins chers rendraient l’électricité plus chère ?
La raison principale semble avoir été prédite par un jeune économiste allemand en 2013. Dans un document sur la politique énergétique, Lion Hirth a estimé que la valeur économique de l’énergie éolienne et de l’énergie solaire diminuerait de manière significative à mesure que leur production augmenterait.
La raison ? Leur nature fondamentalement peu fiable. Le solaire et le vent produisent trop d’énergie quand les sociétés n’en ont pas besoin, et pas assez quand elles en ont besoin.
Le solaire et le vent exigent donc que des centrales au gaz naturel, des barrages hydroélectriques, des batteries, ou toute autre forme d’énergie fiable soient prêts à un moment donné pour commencer à produire de l’électricité lorsque le vent cesse de souffler et que le soleil cesse de briller.
Et le manque de fiabilité exige que des pays comme l’Allemagne, la Californie et le Danemark payent des États voisins pour qu’ils prennent leur énergie solaire et éolienne lorsqu’ils en produisent trop.
Lion Hirth a prédit que la valeur économique du vent sur le réseau européen diminuerait de 40% une fois qu’il atteindrait 30% de l’électricité, tandis que la valeur de l’énergie solaire baisserait de 50% si elle atteignait seulement 15%.
En 2017, la part de l’énergie éolienne et solaire dans l’électricité était de 53% au Danemark, de 26% en Allemagne et de 23% en Californie.
Le Danemark et l’Allemagne ont la première et la deuxième électricité la plus chère en Europe.
Le coût des « ingrédients » baisse mais le prix du « service » augmente
En signalant la baisse des coûts des panneaux solaires et des éoliennes, mais pas la façon dont ils augmentent les prix de l’électricité, les journalistes trompent – intentionnellement ou non – les décideurs politiques et le public à propos de ces deux technologies.
Le Los Angeles Times a rapporté l’année dernière que les prix de l’électricité en Californie étaient en hausse, mais n’a pas réussi à relier la hausse des prix aux énergies renouvelables, provoquant une forte réfutation de l’économiste James Bushnell : « L’histoire de l’état actuel du système électrique californien est longue et sanglante », et « le principal responsable dans le secteur de l’électricité est sans conteste le développement de sources renouvelables de production d’électricité ».
Une partie du problème est que de nombreux journalistes ne comprennent pas l’électricité. Ils la considèrent comme une marchandise alors qu’il s’agit, en fait, d’un service – comme manger dans un restaurant. Le prix que nous payons n’est pas seulement le coût des ingrédients dont la plupart, comme les panneaux solaires et les éoliennes, ont diminué pendant des décennies.
Au contraire, le prix des services comme les repas et l’électricité reflète le coût non seulement de quelques ingrédients mais aussi de leur préparation et de leur livraison.
Mais c’est aussi un problème de partialité, et pas seulement d’analphabétisme énergétique. Les journalistes sceptiques accordent systématiquement un blanc-seing aux énergies renouvelables. Ils savent pourtant comment faire un rapport critique sur l’énergie – ils le font régulièrement quand il s’agit de sources d’énergie non renouvelables – mais ils ne le veulent pas.
Cela pourrait – et devrait – changer.
Les journalistes ont l’obligation de rendre compte avec exactitude et équité de toutes les questions qu’ils traitent, en particulier celles qui sont aussi importantes que l’énergie et l’environnement.
Un bon départ serait pour eux d’étudier pourquoi, si le soleil et le vent sont si bon marché, ils rendent l’électricité si chère.
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Le coût élevé de l’énergie solaire et éolienne découle de leurs contraintes physiques et environnementales. Elles sont diffuses, diluées, non fiables et non pilotables.
Par Michael Shellenberger
Dans mon dernier article, j’ai soulevé un paradoxe : si les panneaux solaires et les éoliennes sont si bon marché, pourquoi rendent-ils l’électricité si chère ?
Une raison essentielle semble être leur caractère intrinsèquement peu fiable nécessitant des ajouts coûteux au réseau électrique sous la forme de centrales au gaz, de barrages hydroélectriques, de batteries, ou de toute autre forme d’énergie de secours.
Plusieurs lecteurs ont souligné que je n’avais pas mentionné un coût énorme à imputer aux énergies renouvelables : de nouvelles lignes électriques. Elles sont beaucoup plus chères pour le solaire et le vent que pour les autres centrales électriques. Et c’est vrai dans le monde entier pour des raisons physiques.
Il faudrait 18 centrales solaires d’Ivanpah en Californie pour produire la même quantité d’électricité que la centrale nucléaire de Diablo Canyon. Et là où un seul ensemble de lignes électriques est nécessaire pour acheminer l’électricité produite par Diablo Canyon, il en faudrait 18 séparées pour les fermes solaires comme Ivanpha.
De plus, ces lignes utilisées seulement une partie du temps et dupliquées, sont dans la plupart des cas plus longues parce que les fermes solaires sont situées loin dans le désert, là où il fait beau et où la terre est bon marché.
En revanche, les centrales nucléaires de Diablo Canyon et de San Onofre se trouvent sur la côte, proche de l’endroit où vivent la plupart des Californiens. (C’est vrai aussi pour l’éolien).
D’autres lecteurs remettent en question l’affirmation selon laquelle l’augmentation des déploiements solaires et éoliens augmente les prix de l’électricité.
Voici ci-dessous ce que mes collègues Madison Czerwinski et Mark Nelson ont trouvé :
- Pour l’ensemble des États-Unis, les prix de l’électricité ont augmenté de 7% alors que l’électricité produite à partir de l’énergie solaire et éolienne est passée de 2 à 8% entre 2009 et 2017
- Au Dakota du Nord, les prix de l’électricité ont augmenté de 40% alors que l’électricité produite par l’énergie solaire et éolienne est passée de 9% à 27% entre 2009 et 2017.
- Au Dakota du Sud, les prix de l’électricité ont augmenté de 34% tandis que l’électricité produite à partir de l’énergie solaire et éolienne est passée de 5 à 30% entre 2009 et 2017.
- Au Kansas, les prix de l’électricité ont augmenté de 33% alors que l’électricité produite par l’énergie solaire et éolienne est passée de 6% à 36% entre 2009 et 2017.
- En Iowa, les prix de l’électricité ont augmenté de 21% alors que l’électricité produite par l’énergie solaire et éolienne est passée de 14 à 37% entre 2009 et 2017.
- En Oklahoma, les prix de l’électricité ont augmenté de 18% tandis que l’électricité produite à partir de l’énergie solaire et éolienne est passée de 4% à 32% entre 2009 et 2017.
Qu’en est-il d’Hawaï, de la Californie et du Nevada qui produisent au moins 10% d’énergie solaire dans leur mix ?
- À Hawaï, les prix de l’électricité ont augmenté de 23%, tandis que ceux de l’énergie solaire et éolienne sont passés de 3% à 18% entre 2009 et 2017.
- En Californie, les prix de l’électricité ont augmenté de 22%, tandis que ceux de l’énergie solaire et éolienne sont passés de 3% à 23% entre 2009 et 2017.
Cela signifie-t-il que le déploiement de l’énergie solaire et éolienne à grande échelle augmente toujours et partout les prix de l’électricité ?
Non ! Dans certains cas, le coût élevé de l’énergie solaire et éolienne est compensé par des baisses beaucoup plus importantes des autres combustibles, à savoir le gaz naturel.
Le Texas et le Nevada en sont deux exemples.
Au Texas, les prix de détail de l’électricité ont chuté de 14% tandis que la production d’électricité issue du soleil et du vent grimpait de 5% à 15% entre 2009 et 2017.
Au Nevada, les prix de l’électricité ont baissé de 15% tandis que l’électricité solaire et éolienne passait 1% à 12% entre 2009 et 2017.
Cependant, il n’est pas anormal qu’il y ait des situations « aberrantes » comme au Texas et au Nevada. De nombreux facteurs déterminent les prix de l’électricité.
Le Texas, par exemple, est l’épicentre de la révolution des gaz de schiste. Entre 2009 et 2017, les prix du gaz pour les centrales électriques du Texas ont chuté de 21% et les prix de gros de l’électricité ont chuté de 21%.
Au Nevada, les centrales solaires sont, comme celles de Californie, les plus efficaces du pays, produisant de l’électricité avec un « facteur de charge » de 30% (elles produisent à leur puissance maximale 30% du temps sur une année). Cet état a ainsi bénéficié de gaz bon marché et d’un climat extrêmement ensoleillé.
En revanche, l’énergie solaire dans le New Jersey a un facteur de charge de seulement 12%.
Intégrer l’énergie solaire intermittente dans le réseau est facile à gérer quand des centrales au gaz peuvent compenser leurs variations. Et c’est beaucoup plus facile à faire quand la part d’électricité solaire dans le mix est de seulement 12% que lorsqu’elle est de 20% ou de 30%.
Ce qui est remarquable aux États-Unis, dans la plupart des états fortement dotés en éoliennes et panneaux solaires, c’est que les prix de l’électricité ont beaucoup augmenté pendant baisse importante des prix du gaz naturel…
Si les prix du gaz n’avaient pas chuté au début du développement à grande échelle des énergies solaire et éolienne dans certains états, les hausses de prix auraient été encore beaucoup plus importantes.
Partout dans le monde, de l’Allemagne à l’Espagne, et du Danemark à l’Australie du Sud, le développement, même modeste, des énergies solaire et éolienne conduisent à de fortes augmentations des prix de l’électricité.
En Espagne, ils étaient inférieurs à la moyenne européenne en 2009. Ils sont aujourd’hui parmi les plus élevés d’Europe, ce qui a conduit le gouvernement à réduire puis à supprimer les subventions ces énergies renouvelables.
Certains lecteurs ont suggéré que la contribution des énergies solaire et éolienne aux prix élevés de l’électricité est un héritage de projets plus anciens et plus coûteux. Cette réflexion impliquerait que leur développement diminuerait les coûts à l’avenir, mais ignore la physique et l’économie. Pour des raisons physiques, la valeur économique des énergies solaire et éolienne diminue à mesure que leur part augmente dans le réseau d’électricité. Ces moyens produisent trop d’énergie quand les sociétés n’en ont pas besoin, et pas assez d’énergie quand elles en ont besoin.
Ce problème peut être temporairement résolu par des solutions de rechange à court terme (mais toujours coûteuses). La Californie et l’Allemagne, par exemple, paient leurs voisins pour accepter de consommer leur surplus d’électricité.
Mais plus on ajoute d’énergie solaire et éolienne, et plus le problème s’aggrave.
C’est pourquoi la valeur économique de l’énergie solaire et éolienne diminue au fur et à mesure de leur importance dans le réseau.
De plus, un pays précurseur comme l’Allemagne, qui s’approvisionne aujourd’hui en énergie solaire et éolienne au prix supposé être le plus bas, continue de payer beaucoup plus cher l’électricité.
L’Allemagne a dépensé 24,3 milliards d’euros au-dessus des prix du marché en tarif de rachat d’énergie renouvelable en 2017.

Surface occupées
Les énergies renouvelables nécessitent plus de surface que les autres sources pour produire la même quantité d’énergie. Par exemple, la surface terrestre occupée par les fermes solaires et éoliennes est d’au moins un ordre de grandeur supérieur à celle des centrales électriques « non renouvelables ».
Un seul exemple illustre bien cette différence.
La ferme solaire d’Ivanpah en Californie produit 18 fois moins d’électricité mais nécessite au minimum 290 fois plus de surfaces terrestres que la centrale nucléaire de Diablo Canyon.
Avec le renforcement nécessaire des réseaux d’électricité, cette réalité pourrait être un facteur supplémentaire de coûts plus élevés.
Les promoteurs solaires font remarquer que le coût du terrain et des nouvelles lignes électriques peuvent être éliminés avec de l’énergie solaire sur les toits, mais les économies sont plus qu’annulées par des coûts d’installation plus élevés.
Tous ces coûts supplémentaires découlent directement des limites physiques sous-jacentes de la production d’électricité à partir du soleil et du vent. Ces deux «carburants» sont dilués et peu fiables. Compenser les faiblesses inhérentes à ces sources d’énergies nécessiterait d’augmenter massivement l’empreinte physique.
Les énergies renouvelables exigent l’utilisation de beaucoup plus de terres, des lignes électriques plus longues et moins utilisées, et de grandes quantités de stockage (batteries au lithium, nouveaux barrages, cavernes d’air comprimé,…).
Elles nécessitent donc aussi plus de matériaux que les sources d’énergie non renouvelables pour produire la même quantité.
Ainsi, le coût élevé de l’énergie solaire et éolienne découle de leurs contraintes physiques et environnementales. Elles sont diffuses, diluées, non fiables et non pilotables.
Et ce problème devra être pris en compte pour à la fois protéger l’environnement et étendre la prospérité à tous.
—
Traduction par Michel Gay d’un article de Michael Shellenberger, « Héros de l’environnement » selon Time Magazine, Président de « Environnemental Progress ».
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Par Michael Shellenberger (traduction de Michel Gay)
De nombreuses études dans des revues scientifiques de haut niveau révèlent que les réacteurs nucléaires sont de loin le moyen le plus sûr de produire de l’électricité fiable. Pourquoi alors suscitent-ils une telle peur ?
L’association historique des centrales nucléaires avec les armes nucléaires n’y est pas pour rien. Pendant les deux premières décennies après le bombardement d’Hiroshima et Nagasaki au Japon, l’énergie nucléaire pour la production d’électricité a reçu un accueil plus enthousiaste qu’effrayé.
Comment le glamour de l’énergie nucléaire dans les années 1950 s’est-il transformé en craintes aujourd’hui ?
Serait-ce à cause de Three Mile Island, de Tchernobyl, ou de Fukushima ?
Pourtant, ces accidents ont prouvé le danger relatif de l’énergie nucléaire. Personne n’est mort des radiations ni à Three Mile Island ni à Fukushima, et moins de 50 personnes sont mortes à cause des radiations à Tchernobyl au cours des 30 années qui se sont écoulées depuis l’accident.
Pourquoi alors ces accidents nucléaires sont-ils considérés comme si catastrophiques ?
La réponse est à rechercher dans la manière dont les gouvernements ont réagi. Au lieu d’encourager le public à rester calme, les gouvernements ont paniqué. Ils ont fait évacuer des centaines de milliers de personnes… pour rien.
Le graphique ci-dessous montre que le nucléaire est le moyen le plus sûr pour produire de l’électricité. Le nombre de décès pour une production identique d’électricité, ici, par exemple, le térawattheure (TWh = un milliard de kilowattheures) est notablement inférieur à celui des autres grands moyens de production de masse de l’électricité que sont le charbon, le pétrole, la biomasse et le gaz naturel.
« Entre 1986 et 1990, entre cinq et dix fois trop de personnes ont été éloignées de la région de Tchernobyl« , a écrit début juin 2018 une équipe de scientifiques de haut niveau dans la revue à comité de lecture, « Process Safety and Environmental Protection ».
Quant à l’accident nucléaire de 2011 au Japon, les scientifiques ont déclaré qu’il leur était difficile de justifier le déplacement d’une seule personne de Fukushima Daiichi pour des raisons de protection radiologique.
En d’autres termes, les réactions excessives aux accidents – et non les accidents eux-mêmes – ont suscité les craintes de la population à l’égard de cette technologie.
Les spécialistes des rayonnements estiment que les craintes du public ne pourront pas être complètement supprimées, mais que la façon dont les gouvernements réagiront au prochain accident nucléaire éventuel pourrait être modifiée.
La guerre contre la prospérité universelle
Dans son discours « Atomes pour la paix » de 1953, le président américain Eisenhower avait proposé à l’assemblée générale des Nations-Unies à New-York d’utiliser l’énergie nucléaire comme un moyen de prospérité : « Un des objectifs serait de fournir de l’énergie électrique en abondance dans les régions du monde en manque d’énergie ».
Quel est l’intérêt de la paix si des milliards de personnes restent dans la pauvreté ?
La vision d’Eisenhower était à la fois nationaliste et internationaliste, altruiste et intéressée :
« Les États-Unis s’engagent à consacrer tout leur cœur et leur esprit à trouver le moyen par lequel l’inventivité miraculeuse de l’homme ne sera pas consacrée à sa mort, mais consacrée à sa vie ».
Après le discours d’Eisenhower, les représentants de chaque nation se sont levés et ont applaudi pendant 10 minutes.
Mais tout le monde n’a pas été ravi par l’idée d’éliminer la pauvreté…
Trois ans avant le discours d’Eisenhower, Harrison Brown, un ancien participant au programme Manhattan (qui a fabriqué la première bombe nucléaire) a publié un livre en 1950 : The Challenge of Man’s Future, qui affirmait que les humains étaient trop nombreux sur la Terre : « L’humanité ne sera pas satisfaite tant que la Terre ne sera pas complètement recouverte d’êtres humains, un peu comme le cadavre d’une vache est recouverte d’une masse grouillante d’asticots ».
Brown, qui avait proposé la stérilisation des humains pour prévenir « la dégénérescence à longue échéance de l’espèce humaine », était influent parmi les « environnementalistes » (écologistes). Sa proposition était une extension des idées de l’économiste du XIXe siècle Thomas Malthus qui désirait l’extermination de son prochain, en particulier les pauvres et les Irlandais : « Au lieu de recommander la propreté aux pauvres », soutenait Malthus, « nous devrions encourager les habitudes contraires… et courtiser le retour de la peste ».
En 1966, des misanthropes au sein du Sierra Club avaient adopté le malthusianisme.
Dans son livre Energy : A Human History, l’historien Richard Rhodes, lauréat du Prix Pulitzer, écrit :
« La croissance démographique ramenée à zéro et le développement des énergies renouvelables émergent du mouvement écologiste dans les années 1960 et 1970. Ils ont sciemment ou inconsciemment incorporé l’idéologie antihumaniste des néo-Malthusiens dans leurs arguments… Plus de centrales électriques créent plus d’industrie qui à son tour invite à une plus grande densité de population » se plaint le directeur exécutif du Sierra Club.
De telles idées anti-humanistes ont fleuri dans le pamphlet du Sierra Club de 1967 The Population Bomb de Paul Ehrlich, biologiste de Stanford qui dépeint les pauvres en Inde comme des animaux « criant… mendiant… déféquant et urinant… » [sic !].
En revanche, les créateurs de l’énergie nucléaire sont restés optimistes et humanistes. Ils considéraient la nouvelle source d’énergie comme la clé pour éviter les problèmes créés par une population humaine croissante, et permettre à chacun, y compris les plus pauvres en Afrique, de sortir de la pauvreté.
Avec l’énergie nucléaire, Alvin Weinberg, directeur du laboratoire d’Oak Ridge, a soutenu que les humains pouvaient créer de l’engrais, de l’eau douce et donc de la nourriture abondante pour toujours.
Mais pour les Malthusiens, l’énergie bon marché et abondante n’était pas un bienfait, mais plutôt une anomalie catastrophique. Le Sierra Club et d’autres écologistes détestaient le nucléaire parce qu’il promettait la prospérité universelle.
C’est à ce moment-là que les groupes écologistes ont lancé une campagne d’un demi-siècle pour effrayer le public : « Notre campagne soulignant les dangers de l’énergie nucléaire fournira une justification pour l’augmentation de la réglementation et augmentera le coût de l’industrie », a écrit le président du Sierra Club dans une note de 1974 au conseil d’administration.
La fraude scientifique
L’un des passages les plus choquants de l’ouvrage de Rhodes traite de la façon dont le scientifique américain Hermann Joseph Muller, lauréat du Prix Nobel de physiologie et de médecine en 1946, a commis une fraude pour exagérer les risques des rayonnements nucléaires pour la santé humaine.
S’inspirant des recherches d’Edward Calabrese, professeur de toxicologie à l’Université du Maryland, les travaux de Muller sur les mouches des fruits l’ont amené à conclure qu’il n’y a pas de dose sûre de radiation parce que chaque dose, selon lui, conduit à des mutations « dommageables ou mortelles… irréversibles et permanentes ».
Mais juste avant que Muller ne s’envole pour recevoir son prix Nobel à Stockholm, de nouvelles recherches contredisaient ses conclusions.
Muller avaient exploré les effets des doses élevées et moyennes de rayonnement. Ernst Wolfgang Caspari, un spécialiste du comportement des insectes, avait étendu cette recherche à la gamme des faibles doses et il s’était demandé si l’effet serait le même lorsque la dose était étalée sur une longue période de temps (« exposition chronique ») plutôt que d’être administrée en une seule fois (« exposition aiguë »)… La nouvelle découverte surprenante de Caspari était que les mouches des fruits exposées à une faible dose quotidienne… ne montraient aucune augmentation de leur taux de mutation.
Muller était confronté à un dilemme. Que devait-il faire ? Il aurait dû modifier sa conférence prévue pour la réception de son Prix Nobel, mais il ne l’a pas fait. « À Stockholm, Muller a accepté son Prix Nobel et a délibérément ignoré les conclusions de Caspari dans sa conférence », écrit Rhodes.
Mais le pire était à venir. À son retour aux États-Unis, Muller a dit à un collègue qu’il n’avait « pas grand-chose à ajouter sur l’étude de Caspari », si ce n’est de recommander qu’elle soit reproduite pour vérification.
Cependant, en tant que relecteur principal du document, Muller a supprimé la phrase qui remettait en question ses travaux.
Son statut de lauréat du Prix Nobel lui a permis d’établir sa théorie falsifiée comme base scientifique pour la réglementation des centrales nucléaires pour les décennies à venir.
Après avoir supprimé une remise en question de son modèle des effets des rayonnements appelé « Relation Linéaire Sans Seuil » (RLSS ou « linear no threshold » (LNT) en anglais), le lauréat du Prix Nobel Hermann Muller a continué par la suite à défendre le modèle RLSS.
Les motivations professionnelles de Muller correspondaient aux souhaits des activistes antinucléaires : « Un mouvement antinucléaire, né de l’hostilité à la croissance démographique dans un monde prétendument malthusien, a promu à son tour le modèle RLSS en exagérant ses effets », écrit Rhodes.
Bonne nouvelle et espoir
La bonne nouvelle est qu’un nombre croissant de scientifiques spécialisés dans les radiations, le climat et la santé publique se prononcent aujourd’hui en faveur des centrales nucléaires comme étant essentielles pour sauver des vies.
En 2013, les climatologues Pushker Kharecha et James Hansen ont constaté que « l’énergie nucléaire a permis d’éviter en moyenne 1,84 million de décès liés à la pollution atmosphérique ».
Et ce constat ne prend pas en compte les conséquences potentielles du changement climatique.
Au cours des deux dernières années, des climatologues, comme Hansen, et des universitaires, comme Rhodes, ont uni leurs forces pour développer les centrales nucléaires dans le monde.
Aujourd’hui, des spécialistes des radiations, avec l’appui des gouvernements britannique et indien, exhortent les gouvernements à rester calme et à poursuivre leurs activités en cas d’accident nucléaire.
À défaut de supprimer totalement la crainte des accidents nucléaires, leurs efforts permettent d’espérer qu’ils pourront au moins empêcher les populations de réagir de manière excessive.
Article paru initialement dans Forbes. Traduction de Michel Gay.