Stratégie Energétique 2050 : une étude de plus le confirme, elle est « non faisable »

L’Institut Paul Scherrer (PSI, annexe des EPF) un centre de recherche multi-énergie très compétent, a tenté récemment, à la demande de l’Office fédéral de l’Énergie (OFEN), de répondre à la question de la faisabilité de la Transition énergétique (appelée Stratégie Energétique 2050, en abrégé SE 2050). À savoir: est-il possible de remplacer le nucléaire suisse par des énergies renouvelables et des économies d’énergie, sans augmenter la consommation d’énergies fossiles et sans coûts excessifs? 

Un des auteurs de l’étude, Christian Bauer du PSI, dit que la réponse est non. Il explique pourquoi dans ce blog :

http://www.sccer-soe.ethz.ch/en/news/blog/energies-renouvelables-deficit-delectricite/

Le rapport complet (en anglais, avec résumé en allemand et en français) est sur :

https://www.psi.ch/ta/PublicationTab/Final-Report-BFE-Project.pdf 

Une synthèse en français est sur :

http://www.bfe.admin.ch/php/modules/publikationen/stream.php?extlang=fr&name=fr_550297299.pdf&endung=Potentiels,%20co%FBts%20et%20impact%20environnemental%20des%20installations%20de%20production%20d%92%E9lectricit%E9

 

Ce que dit Christian Bauer en substance :

  • seul le solaire a le potentiel (théorique) nécessaire.
  • les moyens de stockage manquent: sans eux, le potentiel ne peut pas être exploité. Il reste théorique, et inatteignable.
  • Bilans économiques: les renouvelables font moins bien que le nucléaire. C’est plus cher.
  • Bilan écologique: dito, le nucléaire est meilleur que l’éolien et que le solaire (malgré les apparences)
  • Issue probable: importations de courant ou constructions de centrales au gaz en Suisse

Les nombreuses études qui montrent que ce n’est pas faisable.

La question de la faisabilité de la SE 2050, n’est pas une question d’opinion politique ni de préférence personnelle. C’est une question technique qui peut se vérifier par l’analyse scientifique. Base de l’analyse : établir un plan opérationnel de réalisation qui montre les techniques à mettre en place, les délais et les coûts. Certains penseront que les experts divergent sur ces questions. Il n’en est rien. Les promoteurs de la SE 2050, le Conseil fédéral et son administration n’ont tout simplement pas établis ces plans opérationnels. Ils ont fonctionné comme un architecte qui proposerait une maison en ne fournissant que le cahier des charges, mais pas les plans.

Par contre les nombreux experts et institutions qui ont essayé d’élaborer ces plans opérationnels et d’en chiffre les coûts  n’ont pas réussi et ont exprimé les plus grands doutes sur la faisabilité. Une liste non exhaustive:

Le ClubEnergie2051 a publié plusieurs articles sur ce qui nous est apparu dès le départ comme une impasse. Voir p. ex: https://clubenergie2051.ch/2017/11/22/transition-energetique-la-faisabilite-serieusement-mise-en-question/

Pourquoi c’est grave.

Une stratégie énergétique non réalisable va conduire à une pénurie d’électricité. Pour corriger il faudra des nouveaux investissements qui demanderont des longs délais. Un manque d’électricité affecte toutes les activités : industrie, services, loisirs, ménages. Le recours forcé aux importations va faire monter les prix, d’autant que c’est toute l’Europe qui joue la transition énergétique. Un responsable d’Alpiq déclarait récemment son inquiétude: si tous les pays de l’UE font une transition énergétique, tous devront importer, comment ? Jusqu’à présent notre parc de centrales électriques nous garantissait les kWh nécessaire et au prix habituel raisonnable. Nous ne serons plus à l’abri à la fois d’un manque réel de kWh et d’une augmentation des prix bien au-dessus des prix de revient connus : la bourse est volatile et réagit très fortement à la hausse en cas de tension offre-demande.

Cerise sur le gâteau : il faudra bien tirer l’électricité d’une ressource. Si les renouvelables ne suffisent pas et que le nucléaire reste interdit, il ne restera que le fossile. La transition énergétique, dont un objectif principal était de réduire la consommation de fossile, va au contraire l’augmenter. Cela a été clairement constaté en Allemagne.

L’interdiction du nucléaire : extrémiste, injuste et dommageable.

Extrémiste, parce qu’une technologie, même à risques, doit être sécurisée pour être utilisable avec bénéfice, mais pas interdite a priori et sans conditions. Une technologie n’est qu’un outil, qu’il ne faut ni diaboliser ni idéaliser. Le danger réel dépend de l’usage qui en est fait par l’homme. Cela vaut aussi pour toutes les technologies énergétiques. La démarche fondamentale en matière de sécurité consiste se mettre d’accord sur un bon usage : en pratique à définir et à appliquer avec soin des normes de sécurité rigoureuses. Interdire aveuglément une technologie, ou la promouvoir à tout prix, sont deux attitudes extrêmes inacceptables. Si chaque fois que l’humanité a été confrontée à une technologie à risques on avait dit « c’est dangereux, il faut interdire », nous n’aurions pas d’agriculture, pas de toits, pas de mobilité, pas d’industrie, pas de chimie, pas de médecine, même pas le feu ! Bien sûr, si on n’arrive pas à définir ou à respecter des normes de sécurité acceptables pour une technique, alors, et seulement dans ce cas, il faut empêcher sursoir à son application. Mais pas interdire définitivement, seulement jusqu’à ce que les exigences de sécurité soient respecté. Il ne faut pas bloquer la recherche et le développement.

Injuste parce que Fukushima devait d’abord conduire à un réexamen des règles de sécurité et une enquête approfondie sur ce que ces évènements pouvaient remettre en question sur nos propres réacteurs, avant toute décision politique. Ce qui a été fait par l’IFSN (Inspectorat fédéral de la sécurité nucléaire) : le rapport a été publié environ 18 mois plus tard. Ses conclusions : ces réacteurs étaient construits trop proches du niveau du Pacifique (20 m trop bas), mais aussi il leur manquait plusieurs dispositifs indispensables de sécurité, dispositifs que des ingénieurs suisses avaient même proposé à Fukushima, sans succès. Nos réacteurs ne présentaient pas ces lacunes. L’injustice est que la politique n’a rien dit de cette enquête: nos réacteurs ont été condamnés sans procès équitable, par un lynchage politique et médiatique. On fait payer les Suisses pour les erreurs du Japon. Il a enfin été ignoré qu’aucun réacteur au Monde correctement équipé n’a jamais contaminé son environnement.

Injuste aussi – et immorale – parce que l’interdiction adoptée s’applique à nos enfants : nous nous accordons le droit d’utiliser le nucléaire finissant mais c’est à eux que nous interdisons, sans qu’ils puissent le décider eux même, d’en construire de nouvelles.

Dommageable pour notre économie et pour notre environnement enfin parce qu’en se privant du nucléaire, nous nous privons d’une énergie favorable du point de vue des coûts et des bilans écologiques. En prime on va relancer le recours au fossile, soit par des centrales à gaz, soit en important du charbon allemand.

Voir : https://clubenergie2051.ch/2016/10/24/nucleaire-une-utilisation-intelligente-vaut-mieux-quune-interdiction-aveugle/

Questions sans réponses.

Que se passe-t-il chez les experts de l’administration ? Ils n’ont pas élaborés de plans opérationnels pour la SE 2050. Ils ont soigneusement écarté des débats, et de leurs informations, les travaux et études évoqués ci-dessus qui montraient que ce n’était ni faisable, ni payable.

Déjà l’étude du PSI de 2005 avait évalué la possibilité d’approvisionner la Suisse en électricité sans CO2. Le potentiel et les limites des énergies renouvelables et des économies d’énergie avait été résumé dans ce graphique:

PSI 2005 Limites des renouvelables et des économies (rapp complet)-page-001

Source : https://www.psi.ch/ta/SwissEnePerspEN/PSI-Bericht_05-04sc.pdf

Graphique 4, p.56

Ce graphique montre clairement que ni les économies d’énergie, ni les nouvelles énergies renouvelables ne permettent, même à des prix croissants fortement, de compenser le nucléaire.

Ces experts de l’administration redemandent en 2017, après la votation, au PSI de refaire l’évaluation. Qui confirme les conclusions de 2005.

Auraient-ils tout d’un coup peur d’une politique vouée à l’échec que les responsables politiques continuent à soutenir sans voir la réalité ?

Et les médias ? Ni cette dernière étude du PSI, ni les autres n’ont jamais été évoquées.

24 Heures interviewait le 15 février dernier Mme Jacqueline de Quattro, ministre de l’énergie du Canton de Vaud. Sa crainte : si les citoyens n’acceptent pas les éoliennes (votations difficiles dans plusieurs villages, La Praz p. ex.), alors disait-elle il y a un risque d’échec de la SE 2050. Mais cette analyse manque de lucidité. La fragilité de la SE 2050 n’est pas dans les résistances des citoyens, mais dans l’insuffisance des nouvelles énergies renouvelables à faire le job. Même si les citoyens plébiscitaient les projets éoliens, le paysage serait vite sensiblement abimé, sans qu’on ait assez de kWh pour remplacer le nucléaire.

Le ClubEnergie2051 a essayé d’informer des médias comme 24H, a mis à disposition les diverses études sérieuses disponibles, a fait valoir que le danger ne venait pas des citoyens, mais bien des faiblesses et des limites des énergies renouvelables.

Assiste-t-on à une fuite en avant irresponsable ? Rémy Prud’homme, professeur d’économie (Université de Paris-Est) montre dans un livre très bien documenté et chiffré, que l’éolien et le solaire sont l’objet d’une bulle financière massive alimentée par un système débridé de subventions qui présente tous les risques de la crise des subprimes ou la débâcle du système Madoff. Une de ses conclusions : «La comparaison entre le complexe écoloindustriel et le célèbre complexe militaro-industriel s’impose assez naturellement.» (Source: https://livre.fnac.com/a10738112/Remy-Prud-homme-Le-Mythe-des-energies-renouvelables )

Cet emballement est même dénoncé en France par la très sérieuse Cour des Comptes :

« L’argent coule pourtant à flots. Les gouvernements successifs n’ont pas lésiné afin de soutenir, principalement, l’éolien et le solaire. Pour la seule année 2016, la Cour des comptes estime la somme des dépenses publiques consacrée aux énergies renouvelables à 5,3 milliards d’euros. En 2023, si l’effort se poursuit, cette somme pourrait atteindre 7,5 milliards. Une facture qui s’explique par le soutien financier de l’État.»

(Cité par Le Point : http://www.lepoint.fr/economie/energies-renouvelables-la-charge-severe-de-la-cour-des-comptes-18-04-2018-2211765_28.php )

Le journaliste scientifique Sylvester Huet, dans son blog du Monde, relève à propos du même rapport de la Cour des Comptes :

« Voulez-vous frémir ? Devant une somme d’argent faramineuse. D’argent public. Dont la finalité est fortement controversée ? En voici une, piochée dans le dernier rapport de la Cour des comptes. Un rapport sur «le soutien aux énergies renouvelables». Ce chiffre ? 121 milliards d’euros. Il est inéluctable. Il représente en effet uniquement le montant du soutien public auquel s’est engagé l’Etat par les contrats signés avant 2017 au bénéfice des producteurs d’électricité d’origine éolienne et photovoltaïque (plus un chouïa de biométhane).

Huet ajoute une critique valable pour la Suisse comme pour la France, à savoir que si les subventions coûtent très cher, elles sont pratiquement sans effet sur les émissions de CO2, parce que l’électricité suisse comme française est faites sans fossile. :

« …le résultat est climatologiquement parlant dérisoire par erreur sur la cible de l’action, visant l’électricité au lieu de viser les secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre, comme le chauffage ou les transports routiers. Or, comme le système électrique français, dont le socle est constitué du nucléaire et de l’hydro-électricité, est déjà décarboné à près de 95%, il ne peut constituer une cible efficace pour l’action climatique. » 

Sur le Web:  https://lesobservateurs.ch/2018/05/18/strategie-energetique-2050-une-etude-de-plus-le-confirme-elle-est-non-faisable/

JFD / 14-05-2018

Post-Scriptum

Circonstance aggravante, une deuxième condition-cadre s’ajoute à la SE 2050 pour perturber profondément le système électrique: l’ouverture du marché. Système électrique qui fonctionnait pourtant bien jusque là: en particulier il n’y avait pas de débâcle des barrages. Sur ce point une autre citation de Rémy Prud’homme:

«  »La situation est si désastreuse que l’Union Européenne,
ou du moins la Commission Européenne, ont fini par en
prendre conscience. Ils ont identifié les causes de la
maladie : le système de marché généralisé, et les
renouvelables imposés. Quels remèdes proposent-ils ?
Davantage de marché, et davantage de renouvelable !

Cela vaut aussi pour la Suisse. Nous y reviendrons.

 

 

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10 commentaires pour Stratégie Energétique 2050 : une étude de plus le confirme, elle est « non faisable »

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  8. Ping : Stratégie Energétique 2050 : une étude de plus le confirme, elle est « non faisable » - Les Observateurs

  9. Philippe Lerch dit :

    Aucune surprise que nos politiques et autres élites auto-proclamées ne réalisent pas que la transition énergétique telle que esquissée dans SE 2050 soit vraissemblablement irréalisable.
    La majorité de ces Mme et M ne peuvent pas faire la différence entre énergie et puissance (donc entre Watt x Heure et W) et leur mode de pensée est strictement idéologique (ré-élection, propager ce qui est à la mode, ignorer que les faits sont et restent têtus). Nous avons les dirigeants que nous méritons, car c’est nous qui leur avons donné les mandats.

  10. Voici un excellent article émanant d’une source scientifique et technique fort sérieuse: le PSI.
    Digne continuateur de l’oeuvre d’un pionnier en Suisse, Paul Scherrer. Le précédent grand tournant énergétique suite aux rapports de la GEK (gesamte Energiekonzept) était un modèle, ce que la SE 2050 n’a pas voulu suivre.

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