Par Rémy Prud’homme.
On considère généralement que l’électricité d’origine nucléaire, éolienne et photovol-taïque ne rejette pas de CO2. Cela est vrai au stade de la production d’électricité à partir de ces installations. Mais la fabrication des composants (turbines éoliennes, panneaux photo-voltaïques, cuves nucléaires), leur transport (la plupart des panneaux sont importés de Chine), la construction des installations (qui mobilise beaucoup de béton pour le nucléaire et l’éolien) et la mise à disposition du combustible (extraction, transport, traitement, dans le cas du nucléaire), ainsi que le démantèlement des installations donnent également lieu à des rejets de CO2 qui peuvent et doivent également être pris en compte. On parle alors de rejets liés au « cycle de vie » de A à Z de la technologie considérée.
Le béton de Flamanville
Afin de donner du corps à ce concept, considérons le béton utilisé pour construire une centrale nucléaire comme l’EPR de Flamanville (750’000 tonnes) et une éolienne de 2 MW (1’500 tonnes). La production d’électricité de l’EPR, sur toute sa durée de vie (60 ans) sera d’environ 700 TWh1, celle de l’éolienne, sur sa durée de vie (25 ans) de 0,131 TWh2. Un calcul simple montre que le béton nécessaire pour produire la même quantité d’électricité est dix fois plus élevé pour l’éolien (11,5 g/kWh) que pour le nucléaire (1,1 g/kWh). Il en va de même pour les rejets de CO2 engendrés par ce béton.
Bien entendu, cette comparaison est plus frappante que probante. Le béton utilisé lors de la construction n’est pas la seule source de CO2 du cycle de vie. Des calculs plus complexes sont nécessaires.
Ils sont délicats et difficiles. Faut-il, et comment, considérer les rejets liés, par exemple, à l’extraction et au transport du cobalt congolais incorporé dans les panneaux solaires ? Les rejets de CO2 associés à la production du ciment ou de l’acier des centrales nucléaires et des éoliennes varient considérablement selon le lieu de production : très élevés en Chine (où l’électricité utilisée à cet effet est principalement produite à partir du charbon), très faibles en France (où elle est nucléaire).
De nombreuses études ont été consacrées à ces évaluations, et elles sont loin de converger. Heureusement, plusieurs analyses ont procédé à des recensements des résultats publiés (on appelle cela des méta-analyses) et ont produit des moyennes. Ou plus précisément des médianes (le nombre tel qu’il y a autant de nombre supérieurs que de nombres inférieurs), qui donnent des ordres de grandeur significatifs. Le tableau ci-après présente ces résultats synthétiques.
Rejets de CO2 selon la méthode du cycle de vie pour trois types d’électricité (en gCO2eq/kWh)
______________GIECa Autres méta analyses
Nucléaire 11 12b
Éolien 12 34c
Photovoltaïque 48 50c
p.m. : Charbon 820 (au bas mot)
Sources :
aWikipedia.
bWarner E. 2012. « Life cycle greenhouse gas emissions of nuclear electricity ». J. of Industrial Ecology 16 (1).
cNugent,D. & B.Sovacool. 2014. « Assessing the life-cycle greenhouse gas emissions form solar PV and wind energy : A critical meta-survey » ; cette étude résume 153 estimations indépendantes.
Energy Policy, vol 65, 229-244 ; cette étude résume 99 estimations indépendantes.
Note : gCO2eq/kWh signifie grammes d’équivalent CO2 émis pendant la durée de vie de l’installation par kWh produit durant cette même durée de vie.
Quelles conclusions tirer ?
Ces médianes appellent quatre observations :
- La première est que les sources utilisées apparaissent crédibles. On a donné des chiffres compilés par le GIEC, qui ne peut guère être suspecté de sous-estimer l’intérêt de l’électricité issue de sources renouvelables, dont il a fait un cheval de bataille. Les chiffres du GIEC sont d’ailleurs assez semblables (sauf pour l’éolien) à ceux des deux méta-analyses indépendantes présentées.
- Deuxièmement, les rejets carbonés de l’électricité nucléaire dans l’optique du cycle de vie sont 4 ou 5 fois inférieurs à ceux de l’électricité solaire, et comparables ou inférieurs à ceux de l’électricité éolienne. Dans une comparaison entre ces trois modes, la prise en compte du cycle de vie avantage le nucléaire.
- Troisièmement, dans une comparaison entre ces modes et les modes traditionnels comme l’électricité thermique, le détour par le cycle de vie, justifié en théorie, ne change pas grand chose en pratique. Les rejets de CO2 du cycle de vie du nucléaire représentent 1,5% de ceux de l’électricité au charbon.
- Enfin, les chiffres cités se rapportent à la totalité du cycle de vie. Pour une large part, le CO2 rejeté par les centrales nucléaires l’a été lors de leur construction. Fermer ces centrales pour les remplacer par des installations de renouvelables à construire (c’est ce que veut faire le gouvernement) ne diminuera nullement ce CO2-là.
La comparaison doit se faire entre le CO2 total des installations éoliennes et solaires à construire, et le CO2 lié au fonctionnement des centrales nucléaires existantes. Elle est donc bien plus favorable au nucléaire que les chiffres donnés ne le suggèrent.
Dans un article d’humeur publié par Contrepoints, j’avais écrit, dans une parenthèse, que le nucléaire est décarboné, comme les renouvelables – ce qui m’avait valu de violentes apostrophes de certains lecteurs. Je reconnais volontiers mon erreur.
J’aurais dû écrire : « le nucléaire est beaucoup plus décarboné que les renouvelables ».
- 1’600 MW x 0,8 (taux d’utilisation) x 8’760 h/an x 60 ans = 673 TWh
- 2 MW x 0,3 (taux d’utilisation) x 8’760 h/an x 25 ans = 0,131 TWh
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Bonjour,
L’information est intéressante mais le prisme d’analyse est faussé. Lorsque l’on souhaite analyser les diverses énergies, il est nécessaire d’avoir une approche systémique prenant en compte la totalité de ce qu’offre l’énergie en question. Pour le nucléaire par exemple, il est impossible de réaliser un bilan définitif carbone, car la gestion des déchets toxiques sur une longue période, bien au-delà de notre capacité de projection, puisque l’on doit gérer des stockages pendant des dizaines de milliers, voir des centaines de milliers d’années ne nous permet pas de quantifier l’impact réel. Nos sociétés ne sont pas assez stables pour connaître la répercussion réelle de ce stockage, notamment en cas de guerres, de crises, d’effondrements comme toutes les civilisations humaines l’ont connus. Par contre, les bilans de CO2 sont valides pour les énergies renouvelables car les ouvrages, et les conséquences de la production sont prévisibles car ayant un impact sur à peine une centaine d’année. Pour information les bilans des modules photovoltaïques ne cessent de diminuer, comme en témoigne l’évolution des dossiers lauréats aux appels d’offres de la Commission de Régulation de l’Energie. Bien Cordialement.
Votre réticense envers le stockage géologique en couche profonde n’est pas justifiée. Après une courte période de surveillance, le dépot ne fera plus l’objet de travaux. Le réacteur naturel d’Oklo au Gabon a fonctionné, puis s’est arrêté, tout cela sans surveillance, et ses résidus sont restés sur place des millions d’années sans interventions humaines. La radioactivité des résidus rejoint peu à peu le niveau de la radioactivité naturelle. L’homme n’aura plus à intervenir, une fois les dépots définitivement scellés après la période d’observation. Il n’en coûtera aucune nouvelle consommation d’énergie et donc aucune émission de CO2. Votre réserve est donc infondée.
Si tel est le cas, pourquoi n’avons nous pas été capable d’agir ainsi sur nos déchets industriels les plus toxiques ? Je crains que notre « maitrise » dans ce domaine ne soit qu’une vue de l’esprit, et aujourd’hui sur des déchets toxiques moins longtemps nous avons échoué à les gérer « une bonne fois pour toute ». Le « bilan » ne pourra être fait qu’à la fin, mais je ne serai pas là pour en discuter avec vous dans 40 à 400 000 ans. Je maintiens donc ma réserve et vous remercie de votre commentaire.
C’est justement là qu’est la différence fondamentale que vous oubliez : les déchets industriels, tels le mercure, le cadmium et autres métaux toxiques, resteront tels perpétuellement, alors que toute substance radioactive voit sa dangerosité inéluctablement diminuer avec le temps, la radioactivité décroît avec le temps qui passe. D’autre part, il ne faut pas oublier que la Terre a été bien plus radioactive dans le passé qu’aujourd’hui et que la Vie s’est développée parmi des radiations plus intenses qu’actuellement et qui ont même contribué à l’évolution. Avec le temps qui passe, il y aura de moins en moins de radioactivité, mais les produits industriels toxiques seront eux toujours là. Les résidus nucléaires sont confinés et vous n’en avez jamais rencontrés sur votre chemin, alors que ce n’est pas le cas hélas ! pour tous les déchets industriels.
Cher Christophe
Merci, une fois de plus, pour ton courrier périodique. Quelle surprise ! Je connaissais Rémy Prud’homme. Nous étions en même temps (1971) au même institut universitaire aux États Unis (Center for Urban Studies at Wayne State University à Detroit).
Salutations amicales,
Urs