Les déchets nucléaires issus de nos centrales : quelle masse, quel volume, combien cela fait-il par tête d’habitant ?

(Photos de la halle du dépôt intermédiaire « Zwilag »)

La question des déchets nucléaires revient souvent, mais généralement sous forme d’une affirmation péremptoire négative : « Il n’y a pas de solutions aux déchets  ! » Un point c’est tout ! Nous avons ici déjà dénoncé cette fausse assertion que l’on entend jusque dans la bouche de certains de nos politiques peu au fait des avancées obtenues par des travaux de recherche menés de par le monde sur la question. Les Suédois et les Finlandais sont déjà en train de mettre en œuvre des installations souterraines de stockage, mais on ne le lit pas dans la presse suisse. On oublie parfois que c’est en 2006 déjà que le Conseil fédéral a approuvé la démonstration de la faisabilité pour la gestion des déchets hautement radioactifs et qu’il a entériné le concept le stockage en profondeur.

Il y a un aspect qu’il faut clarifier, c’est celui des quantités à gérer, en masses et en volumes. La NAGRA (Société coopérative nationale pour l’entreposage de déchets radioactifs, créée en 1972), sur son site Internet (à parcourir !), donne les quelques chiffres-clés nécessaires : un volume de 9’300 m³ (soit un cube de 21 m de côté !) de matières hautement radioactives (dites déchets à haute activité, DHA, et éléments de combustible irradié ou usé, ECI), qui sont une petite partie d’un volume total de 100’000 m³ comprenant toutes les matières à faibles et moyennes activités provenant du futur démantèlement des centrales, de l’industrie et de la médecine, soit un volume comparable à celui du hall de la gare de Zurich, pour avoir une bonne idée.

Faisons tout de même quelques simples calculs complémentaires : durant une période d’exploitation de 50 ans environ, nos 5 réacteurs auront produit un joli total de quelque 1’250 TWh (1’250 milliards de kWh) d’électricité (à raison d’environ 25 TWh par an en moyenne) et auront ainsi brûlé (à raison de 72 t de combustible frais par an en moyenne) un total d’environ : 50 ans × 72 t/an = 3’600 t de combustible (la Nagra envisage entre 3’000 à 4’300 t, selon la durée  effective d’exploitation), sous forme de dioxyde d’uranium, UO2, enrichi initialement à ~4% en isotope fissile U235 ; cela représente aussi une utilisation totale de 450 g ou 41 cm³ de combustible par habitant, répétons-le, cumulée sur 50 ans ! On ne peut être plus efficace, vu la rapport entre électricité produite et quantité de combustible en jeu. Après usage, cette masse comprendra encore 95% d’uranium (1% d’U235, 94% d’U238), 1% de Pu239 et 4% de produits de fission (avec encore des traces d’actinides mineurs transuraniens). Ce sont ces derniers 4%, plus ces transuraniens, qui sont les vrais déchets nucléaires dangereux à gérer correctement parce que non recyclables. Le Professeur Carlo Rubbia (ancien directeur du Cern et prix Nobel de physique) a démontré que l’on pouvait « incinérer », plus exactement dit, « transmuter » ces résidus issus des centrales nucléaires pour en faire des substances peu ou pas radioactives, tout en produisant encore de l’électricité… Mais c’est là une autre question, bien que liée à la gestion des déchets nucléaires à l’avenir.

Il serait judicieux, bien sûr, comme on l’a appris pour le tri de tous nos autres déchets sociétaux, de retraiter le tout pour en séparer et retirer ces précieux 1% de Pu239 et 1% d’U235, − des isotopes fissiles et réutilisables tels quels −, et même les 94% d’U238 fertiles, en vue d’une future surgénération (réacteurs de 4e génération), soit 96% de matières valorisables énergétiquement parlant ! Mais la loi suisse sur l’énergie nucléaire (LENu), toujours en vigueur, interdit actuellement le retraitement et l’exportation des éléments de combustible usé, selon un moratoire, de nature purement politique, qui dure encore jusqu’en 2016. Au-delà, la « Stratégie énergétique 2050 » en discussion au Parlement, et telle que proposée par le Conseil fédéral, veut (toujours pour des raisons politiques) non seulement interdire a priori la construction de nouvelles centrales nucléaire, mais aussi bannir dans la loi cette possibilité de retraitement qui est pourtant très rationnelle et prometteuse puisqu’on recyclerait utilement des matières valorisables…

Supposons donc, pour simplifier le calcul, que l’on ne retraite ni ne recycle rien (ce recyclage peut se faire sous forme d’oxyde mixte de plutonium et d’uranium, dit MOX). Cela est inexact à ce jour, car il y a eu une petite partie de nos éléments de combustible usé qui a déjà été retraitée en Angleterre à Sellafield et en France à La Hague. Mais, si l’on fait l’hypothèse que tout est gardé tel quel en Suisse − tenant compte de l’importante masse volumique (densité) de l’oxyde d’uranium, UO2, de 11 t/m³ −, ces 3’600 t font un volume de 330 m³, soit un cube de 6,90 m de côté, ou, comme déjà dit, un volume de seulement 41 cm³ par habitant de matière nucléaires à gérer.

Par contre, si l’on vitrifiait le tout, en le diluant aux alentours de 4% dans une matrice de verre, le volume à gérer passerait à un maximum de 8’000 m³ (la Nagra indique de son côté 9’300 m³ pour le total des éléments de combustible irradié, ECI, et tous les déchets de haute activité, DHA), soit un cube de 20 à 21 m de côté. Cela donnerait exactement un volume de 1 L par habitant, dont seulement ~4% ou ~41 cm³ seraient de la matière nucléaire. À l’intérieur de celle-ci, 96% sont de l’uranium et du plutonium réutilisables. Il y aurait donc seulement 1,6 cm³ de produits de fission par personne, soit un dé à coudre de vrais déchets, et cela cumulé sur 50 ans de production par nos 5 réacteurs ! Du fait de l’interdiction du retraitement, on gardera probablement la plupart des éléments de combustible usé (ECI) issus de nos réacteurs tels quels, donc sans retraitement et même sans vitrification et, par là, sans dilution ; ce qui diminuera encore le volume total à gérer.

Ces résidus sont bien sûr radioactifs, certains avec de longues périodes, mais d’une activité qui est inéluctablement décroissante, atteignant plus ou moins lentement le niveau naturel de radioactivité ambiante. Ils dégagent aussi une chaleur résiduelle qui va également en diminuant ; cependant, ils ne sont plus du tout l’objet de fission nucléaire avec son intense chaleur de réaction, telle que cela se produit dans un réacteur en fonctionnement. On sait que la mine d’uranium d’Oklo au Gabon a eu une réactivité naturelle de fission spontanée, il y a environ 1,7 milliard d’années et durant plusieurs centaines de milliers d’années. Cela était dû au fait que l’abondance d’U235 était à cette époque reculée bien plus élevée qu’aujourd’hui, plus de 4% au lieu des 0,7% actuels ! On y trouve encore aujourd’hui quelques traces des produits de fission formés alors sur place et qui n’ont quasiment pas migré à plus de quelques décimètres de leurs sources. La crainte d’une « remontée » inopinée à la surface de déchets enfouis à quelques centaines de mètres sous terre est donc absolument infondée. Lorsque nos lointains descendants feront un forage à cet endroit oublié, ils traverseront une zone dont une section de la carotte prélevée montrera une réactivité résiduelle qui ne les inquiétera pas du tout, mais les intéressera certainement d’un point de vue archéologique….

Il faut le dire et le redire : il n’y a plus de fission dans les déchets issus des centrales ! Car il ne peut plus y avoir les conditions de criticité. La chaleur résiduelle est uniquement celle de la radioactivité décroissante des multiples et diverses désintégrations des divers isotopes instables présents dans les produits de fission et dans les actinides mineurs transuraniens ; elle est bien plus faible que celle issue de la fission. C’est pour dissiper ces premières émissions de chaleur encore intenses qu’on laisse normalement reposer quelques dizaines d’années les éléments de combustible usé dans des piscines refroidies et surveillées sur le site-même des réacteurs, pour leur permettre de se refroidir. Ensuite ils émettent encore de la chaleur résiduelle, mais de moins en moins, même pas de quoi produire une chaleur de chauffage ! Et on peut les stocker dans des cylindres blindés, ces « castors » que nous collectionnons…

Dans la grande halle du dépôt intermédiaire de Würenlingen, le « Zwilag », se trouvent des « castors » (en anglais, Cask for storage and transport of radioactive material), soit des conteneurs de stockage aux épaisses parois de 35 cm, d’environ 6,5 m de haut et 2 m de diamètre et d’un volume intérieur de 7 m³, enfermant soit les éléments de combustible usé, ECI, refroidis, issus de nos centrales (blancs), soit un jeu de 28 « canisters », des boîtes contenant les produits retraités en matrice de verre (bleus). Il y règne effectivement une chaleur ambiante résiduelle, mais vivable, comme on le voit, et pas de quoi faire fondre les récipients !

(Photos des « castors » dans la halle du dépôt intermédiaire « Zwilag »)

Comme le montrent les photos en en-tête, on peut circuler dans cette halle tempérée sans autres protections, car les blindages suffisent pour ne pas être irradié. Ces récipients n’émettent qu’une chaleur résiduelle, au début encore de 40 à 50 kW, puis assez rapidement de 25 à 30 kW, mais pas de quoi être utilisable.
Les conteneurs bleus pour le matériel vitrifié sont de 113 tonnes environ (pleins) avec 13 tonnes de contenu. Les blancs pour les éléments de combustible usé non traités sont de 135 tonnes (pleins), avec 17 tonnes d’éléments de combustible usé tels quels.

Dans le sous-sol géologique prévu entre 400 et 500 m environ de profondeur, des couches enveloppantes d’argiles, dites à « Opalinus » (un coquillage pétrifié), vieilles de plusieurs centaines de millions d’années − telles que la Nagra les a retenues sous le Plateau suisse,  zones Jura-est (AG) et Zurich-nord-est (ZH,TG) −, sont inertes, imperméables, et même auto-réparatrices en cas de fissures et peu conductrices de la chaleur. On sait aussi que la conductivité thermique des argiles croît avec la température, partant de 0,2 W/K/m et croissant jusqu’à 3 W/K/m (quelques chiffres en comparaison : pour la fonte on a 100 W/K/m, pour le marbre ou le granit 2 à 3 W/K/m et pour la brique 0,8 W/K/m, ce sont des valeurs à 20 °C). En conséquence, un échauffement initial serait la cause d’une élévation de température et donc provoquerait aussi un accroissement progressif de la conductivité thermique et, par là, une dispersion favorisée de la chaleur. Ce qui est idéal.

En conclusion : un stockage souterrain est faisable dans le sous-sol suisse, cela a été démontré et est un fait acquis. Il reste des décisions politiques à prendre. Comme ce stockage sera surveillé et réversible, dans un premier temps, avant un scellement définitif, lorsque les conditions politiques futures seront redevenues favorables à un retraitement, nos descendants pourront, s’ils le veulent, s’emparer de ces matières valorisables pour en exploiter encore les 96% d’énergie qui y est encore cachée.

Cet article, publié dans Energie et combustibles nucléaires, Politique, Technologies documentation, est tagué , , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

Un commentaire pour Les déchets nucléaires issus de nos centrales : quelle masse, quel volume, combien cela fait-il par tête d’habitant ?

  1. Jean-Luc Dreyer dit :

    Excellent article: très clair, très complet, très professionnel, très convaincant. Enfin une réponse limpide à de très grandes interrogations. Merci beaucoup.
    JLDreyer

Laisser un commentaire