Le stockage de l’énergie, vessies et lanternes

lithium air batteries

Voici un article fort instructif − et plaisant à lire − sur le stockage de l’électricité, repris tel quel du site de l’auteur.

Les batteries sont envisagées pour le développement de la voiture électrique et pour l’intégration des énergies intermittentes — éolienne et photovoltaïque — au réseau. Les ordres de grandeur en jeu montrent cependant que si la première utilisation est envisageable à une échelle de masse, la seconde ne l’est pas.

Par Jacques Treiner, physicien
Paris, France

Retour aux sources. On parle de l’énergie comme si c’était une chose : on la produit, on la consomme, il existe un marché de l’énergie, on cherche à la stocker, etc. Sans chercher à faire la police des mots, il convient tout de même, de temps en temps, de mettre les choses à plat pour savoir de quoi l’on parle et quelles sont les conventions de langage.

En réalité, nous ne vivons pas d’énergie, nous vivons de transformer la matière. Regardez autour de vous : partout, vous voyez des matières premières transformées. Prenons le premier besoin, celui de se nourrir. Sur un paquet de corn-flakes, on trouve sa « valeur énergétique ». Pourtant, si on verse son contenu, on ne voit pas sortir de l’énergie, on voit sortir… des corn-flakes. En les ingérant, nous leur faisons subir une série de transformations chimiques qui permettent de maintenir notre corps à 37 °C, de remplacer nos cellules, et de faire fonctionner nos muscles. Autre exemple : je lâche un objet d’une certaine hauteur. Il perd de l’altitude, car il est attiré par la Terre, il gagne de la vitesse, car l’exercice d’une force change l’état de mouvement de l’objet sur lequel elle s’exerce. C’est une transformation physique que l’on décrit sans avoir besoin d’utiliser le mot énergie. Mais si l’on pose la question : y a-t-il une relation quantitative entre la perte d’altitude et le gain de vitesse ? La réponse est : oui, et elle s’exprime sous forme d’une relation mathématique qui, en mots, donne ceci : le produit de la masse par l’accélération de la pesanteur et par la hauteur de chute, M g H, est égal à la moitié de la masse multipliée par le carré de la vitesse, ½ M v². Et pour les corn-flakes ? Dans la mesure où les transformations chimiques qu’ils subissent s’apparentent à une combustion lente, le « contenu énergétique » est déterminé en mesurant la chaleur dégagée lorsqu’on les brûle. Notons que le contenu énergétique dépend du système digestif : le contenu énergétique pour une vache, qui mangerait non seulement les corn-flakes mais aussi la boîte, serait supérieur, puisqu’elle est capable de métaboliser la cellulose…

Revenons à la chute libre. La relation entre hauteur de chute et vitesse est tellement remarquable qu’on donne un nom à chacun des termes : M g H, c’est l’énergie potentielle gravitationnelle ; ½ M v², c’est l’énergie cinétique ; M g H = ½ M v² exprime que ce qui a été perdu sous forme d’énergie potentielle se retrouve exactement sous forme cinétique. L’énergie, c’est donc une grandeur physique qui permet d’accrocher des nombres aux transformations de la matière. Mais à quoi cela sert-il ? En particulier, à dimensionner nos systèmes énergétiques. Imaginons qu’on veuille alimenter le réseau avec une centrale hydroélectrique. L’eau d’un barrage va passer dans des canalisations – elle perd de l’altitude, elle gagne de la vitesse – et va mettre en rotation des turbines sur lesquelles sont disposés des aimants permanents, dont le déplacement à proximité d’un conducteur va mettre en mouvement des électrons. L’énergie électrique ainsi produite a donc pour origine l’énergie potentielle de l’eau du réservoir, et la puissance de l’installation est liée au débit d’énergie cinétique de l’eau au niveau des turbines. La France, par exemple, dispose de 25 GW de puissance hydroélectrique, délivrant environ 70 TWh d’énergie électrique par an, soit environ 12 à 14% de la consommation annuelle d’électricité.

Une source d’énergie, c’est donc un système susceptible d’enclencher une série de transformations physiques ou chimiques permettant, en fin de chaîne des transformations, de satisfaire nos besoins.

Qu’est-ce donc que stocker de l’énergie ? C’est remonter une partie de la chaîne des transformations jusqu’à la source. Aujourd’hui, le moyen de stockage le plus efficace s’appelle en France une STEP : station de transfert d’énergie par pompage. Lorsque l’eau d’un barrage a actionné les turbines, au lieu de la laisser s’échapper dans la rivière, on la recueille dans une retenue. Lorsqu’on dispose d’un excédent d’électricité – la nuit, par exemple – on remonte l’eau dans le réservoir haut à l’aide de pompes. On recrée M g H sans attendre que la pluie s’en charge. En France, nous disposons d’environ 5 GW de STEP. La Suisse nous achète de l’électricité excédentaire à bas prix pour remonter l’eau dans ses STEP, et nous revend au prix fort l’électricité qu’elle turbine aux heures de pointe. C’est réglo.

Un moyen de stockage dont on parle beaucoup aujourd’hui est le stockage dans des batteries électrochimiques. Deux utilisations principales sont envisagées : la voiture électrique, et l’intégration des énergies renouvelables, éolienne et photovoltaïque, au réseau. Voyons un peu l’une et l’autre.

Dit rapidement, une batterie est un système chimique hors d’équilibre. La chimie, c’est la discipline qui s’occupe de la façon dont des édifices moléculaires se font et se défont par échange et circulation d’électrons entre les atomes. Lorsqu’on branche la batterie, elle évolue vers l’équilibre par circulation d’électrons, et l’on s’arrange pour qu’elle ait lieu dans le circuit extérieur à la batterie, ce qui permet de disposer de courant électrique. La batterie est à plat lorsque l’équilibre est atteint. Recharger la batterie, c’est rétablir le déséquilibre initial, ce qui nécessite de faire appel à une autre source de courant (comme pour remonter l’eau dans le barrage). En ce sens, une batterie n’est pas une source d’énergie, c’est un vecteur. Au passage, du point de vue des émissions de gaz à effet de serre, il faut donc s’interroger sur l’origine du courant qui assure la recharge : d’origine fossile, ou décarbonée ? Passons.

Aujourd’hui, nous disposons à l’échelle mondiale d’une capacité de stockage d’environ 500 GWh (= 0.5 TWh) sous forme de batterie, dont, en gros, 90% de batteries au plomb et 10% de batteries au lithium. Le nombre de cycle charge/décharge est limité : de l’ordre de 1’000, et de quelques milliers pour les meilleures batteries.

Si l’on envisage de développer une flotte de voitures électriques, disons un milliard de voitures − qui, à raison de 15’400 km par an chacune en moyenne, et avec une consommation spécifique de 17.2 kWh/100 km en moyenne, consommeraient chacune environ 2’650 kWh/an, soit au total quelque 2’650 TWh/an !−, de quelle énergie faudrait-il disposer sous forme de batteries ? Avec des batteries d’une capacité de 10 à 20 kWh – comme pour la Zoé –, cela ferait une capacité de batteries de 10 à 20 TWh, soit 20 à 40 fois ce qui existe aujourd’hui. C’est beaucoup. Avec une capacité théorique maximale de ~11 kWh/kg lithium (capacité effective 2.5 kWh/kg lithium), cela représenterait environ 1 à 2 millions de tonnes de lithium, alors qu’on en extrait 25’000 tonnes par an aujourd’hui… C’est donc encore beaucoup. Mais en quelques décennies, c’est peut-être possible, d’autant que des recherches sont menées pour trouver des éléments plus abondants que le lithium.

Voyons maintenant ce qu’il en est des besoins pour l’intégration des renouvelables intermittents. Ces sources produisent indépendamment des besoins : personne ne commande à Éole, aux nuages, ou à la nuit ! Autrement dit, elles produisent parfois trop et parfois pas assez. Pourquoi ne pas stocker quand il y en a trop, et s’en servir quand il y a manque ? Bonne idée. Il faut donc évaluer, au cours d’une année, la dynamique des manques et des excès. C’est ce à quoi se sont livrés des collègues de Grenoble (1) : ils ont envisagé un mix français avec 50% de nucléaire, 15% d’hydroélectricité-déchet-biomasse, et 35% d’éolien-photovoltaïque. En se basant sur les données de l’année 2013, mises à l’échelle pour correspondre au mix choisi, il est possible de suivre cette dynamique de l’intermittence. Le manque cumulé est d’environ 15 TWh (sur une consommation annuelle de 550 TWh), et les données de l’année 2014 confirment cet ordre de grandeur. Oui, 15 TWh, soit 30 fois l’énergie de toutes les batteries au monde − pour un seul pays. Impossible !

Voilà pourquoi l’Allemagne, qui a développé une grande puissance éolienne et solaire, ne diminue pas ses émissions de gaz carbonique. Pour pallier l’intermittence, elle n’a pas recours à des batteries, elle a recours au charbon et au lignite…

(1) D. Grand, C. Le Brun et R. Vidil, Intermittence des énergies renouvelables et mix électrique, Techniques de l’ingénieur, 10 juillet 2015

Le blog de Jacques Treiner

Voir aussi ce site très bien conçu:

Realisticenergy.info

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4 commentaires pour Le stockage de l’énergie, vessies et lanternes

  1. Ping : ClubEnergie2051.ch recommande de voter non à la Stratégie 2051 le 21 mai 2017. Les arguments en bref. | clubenergie2051.ch

  2. Benno Frauchiger dit :

    « Le manque cumulé est d’environ 15 TWh (sur une consommation annuelle de 550 TWh), et les données de l’année 2014 confirment cet ordre de grandeur. Oui, 15 TWh, soit 30 fois l’énergie de toutes les batteries au monde – pour un seul pays. Impossible ! »

    Pour les voitures électriques l’auteur permet de recharger les batteries plusieurs fois par an. En effet, une Renault Zoé avec une batterie de 20 kWh qui figure comme cas d’exemple ne fait qu’environ 120-150 km sur une charge. Il faudra donc la recharger plus de 100 fois par an pour permettre un parcours moyen de 15’000 km par an.
    Par contre, les calculs pour le stockage d’électricité de ménage ne considèrent qu’une seule recharge par batterie par an. Si le « manque cumulé » se produit lors d’une seule journée, d’accord, mais il est plus vraisemblable, qu’on puisse aussi permettre aux batteries de ménages plusieurs cycles de charge et de décharge par an. Donc, ce ne serait pas une capacité de 15 TWh qui serait nécessaire, mais beaucoup moins. La conclusion et fausse. La bonne conclusion, c’est que les batteries ne se prêtent pas pour un stockage saisonnier.

    Même si l’on ne permet que 10 cycles de recharge par batterie par an et en transposant le résultat de la France sur la production d’électricité mondiale d’environ 20’000 TWh/an, on arriverait à une capacité nécessaire au niveau mondial de 60 TWh. C’est toujours 3 fois plus que pour la mobilité, mais est-ce que c’est vraiment impossible ? D’ailleurs, 10 cycles de recharge par an est encore bien conservatif, considérant que la plupart des gens n’habitent pas dans des régions avec des saisons aussi prononcées et ne se chauffent pas à l’électricité comme en France. Surtout si l’on considèrent que dans les pays du Sud le besoin en énergie est souvent plus grand en été qu’en hiver pour la climatisation. Le stockage de l’énergie intermittente en provenance du soleil se fera donc plutôt sur un rythme quotidien et non sur un rythme annuel comme le suggère l’auteur.

  3. Benno Frauchiger dit :

    Plus correct : pour pallier l’intermittence, l’Allemagne n’a pas recours au charbon et au lignite, elle a recours à l’hydraulique et au gaz. Le charbon et le lignite, comme le nucléaire, ne sont pas des technologies qui se prêtent pour résoudre le problème de l’intermittence, ni au niveau de la production, ni au niveau de la consommation.

  4. Pichon dit :

    D’accord avec le sens général de cet article : les calculs de dynamique de l’intermittence démontrent clairement qu’à l’heure actuelle il n’est pas envisageable de stocker tous les excédents de production électrique dans les seules batteries.
    Le pompage-turbinage, la transformation en hydrogène, en air comprimé, etc., seront une grande partie de la solution.
    Par contre, les batteries seront une partie de la réponse non seulement pour les véhicules électriques, mais selon moi aussi pour les habitations (Tesla PowerWall et concurrents) ; rien n’empêche d’ailleurs leurs propriétaires de les recharger non seulement avec leur propre production PV, mais aussi avec le réseau en heures creuses, et de les décharger en heures pleines !
    Mais effectivement les batteries ne sont sans doute pas la réponse adéquate pour les productions industrielles d’électricité (hors quelques applications spécifiques).

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