Cette conférence – séminaire de l’EPFL a fait réagir le Clubenergie2051 parce que la démarche scientifique qui doit accompagner un débat politique portant sur des questions techniques n’y trouvait pas son compte.
Ces réflexions nous les avons formulées dans le mail que nous publions ici, mail distribué aux organisateurs et aux intervenants de cette manifestation, mais aussi à un certains nombres de personnalités liées à l’EPFL et aux sciences techniques.
Transition énergétique: un séminaire EPFL donne une image trouble du rôle des sciences techniques dans le débat politique
Objet
La conférence – séminaire intitulée « Transition énergétique : quels scénarios pour la Suisse ? » organisée par le Centre de l’Énergie de l’EPFL (CEN) le 30 mai dernier à l’EPFL.
Programme : https://memento.epfl.ch/event/transition-energetique-quels-scenarios-pour-la-sui/
Destinataires
Ce mail est destiné aux intervenants et organisateurs de cette conférence-séminaire pour leur dire le désaccord de l’association https://clubenergie2051.ch/ avec la manière dont ils ont présenté l’apport des sciences techniques au débat de société autour du thème de la « Transition énergétique ». Ce mail est aussi envoyé en copie à divers personnalités représentant ou concernées par les sciences techniques avec qui nous avons eu l’occasion d’être en contact (liste en PS2). Ce mail est également transmis aux membres et aux correspondants du Clubenergie2051 et sera publié sur le site du Club.
Pourquoi parler d’une image trouble du rôle des sciences techniques dans le débat politique ?
Le sous-signé, Jean-François Dupont, a un diplôme et un doctorat de l’EPFL. Ma vie professionnelle s’est déroulée dans le domaine de l’énergie : comme chercheur à l’Institut Paul Scherrer (PSI, Würenlingen) et ensuite comme responsable « Analyses et prospective » chez EOS, producteur d’électricité pour la Suisse romande. Je suis membre de l’association Clubenergie2051, qui réunit des spécialistes scientifiques ayant exercé une activité professionnelle dans le domaine de l’énergie dans diverses fonctions : recherche, enseignement, administration cantonale et fédérale, industrie, services…). Nous avons créé notre association suite à divers épisodes où il nous semblait que la démarche scientifique n’était pas utilisée comme il l’aurait fallu dans le débat politique ou de société. Sur notre site Internet nous essayons d’informer sur les réalités techniques derrière l’énergie, en particulier l’électricité, dans l’esprit d’aider le citoyen et le décideur non spécialisés à mieux comprendre et mieux former leur opinion de citoyen ou d’élu.
Dans le cas de la conférence-séminaire du 30 mai, nous constatons que le thème « Transition énergétique », est l’objet d’un débat intense depuis longtemps sur les solutions (techniques) à mettre en œuvre. La transition énergétique, très simplifiée, est le terme donné à un objectif qui propose de remplacer dans le secteur électrique tout le nucléaire uniquement par des renouvelables, et dans le secteur hors électricité (mobilité, chauffage, industrie…), tout le fossile uniquement par des renouvelables. Des études sérieuses, par des institutions compétentes (EPFL, EPFZ, PSI, associations de spécialistes, …) ont montré que la transition énergétique n’était pas réalisable, dans l’avenir prévisible, avec les moyens d’aujourd’hui et soulève donc beaucoup de questions encore mal résolues. La « Stratégie énergétique 2050 » de 2017, acceptée en votation, contenait, dans le texte voté et la documentation fournie, les objectifs de la transition énergétique, mais pas un programme chiffré des mesures à mettre en place et de leurs coûts. En pratiquant ainsi la Confédération s’est comportée comme un architecte qui proposerait un nouveau bâtiment en fournissant le cahier des charges (les objectifs), mais pas … les plans ! Qui achèterait un bâtiment sans voir les plans ? En particulier nous constatons que l’état du système électrique confirme aujourd’hui les études qui mettent en doute la faisabilité de la transition avec l’émergence de deux difficultés graves : le manque de capacité de production et des prix très élevés. Or ces deux difficultés sont dues précisément à la transition énergétique déjà en cours. Mais la loi proposée en votation le 9 juin prochain demande précisément de renforcer et d’accélérer la transition énergétique déjà en cours. En somme on va dans le mur, et la Confédération propose d’y aller encore plus vite… Explications sur notre site Internet dans plusieurs articles, en particulier :
Électricité : on va dans le mur, une loi pour y aller encore plus vite, vraiment ?
https://clubenergie2051.ch/2024/05/28/electricite-on-va-dans-le-mur-une-loi-pour-y-aller-encore-plus-vite-vraiment/
Ces difficultés, et les questions qu’elles soulèvent, n’ont pas été abordées lors de ce séminaires du 30 mai. Et pourtant elles sont bien présentes dans les analyses et réflexions de bien des scientifiques, des EPF entre autres et de divers milieux spécialisés.
La philosophe Hannah Arendt disait « Vous les scientifiques, vous vous trompez quand vous croyez que les faits se défendent eux-mêmes : non, il y faut une autorité ». L’EPFL est une de ces autorités. Elle a alors le devoir de livrer une analyse aussi complète que possible des faits. Or beaucoup des analyses solides et disponibles, en particulier au sein des EPF, n’étaient pas représentées le 30 mai. Et aussi les expériences grandeur nature de pays comme la Suède, l’Allemagne et la France étaient ignorées (documentation à disposition).
Nous disons avec regrets que ce qui a été présenté le 30 mai à ce séminaire de l’EPFL comporte, pour le dire pudiquement, beaucoup d’omissions et de semi-vérités. Je crois qu’un scientifique connaît souvent une angoisse permanente due à cette question: ce que je comprends dans mon domaine et que j’essaie d’expliquer, est-ce bien le reflet de la réalité ou celui de mes préférences? Je n’ai pas senti cette angoisse chez les intervenants de ce séminaire du 30 mai. On était aussi loin de la démarche exemplaire du double inventaire, celui des « faits confirmés » et celui des « incertitudes », que la Société helvétique des sciences naturelles (SHSN) avait fait établir, début des années 1980, par des spécialistes pour distinguer les faits et les opinions sur le nucléaire, qui était déjà controversé. Pour utiliser une terminologie d’actualité concernant les milieux universitaires : il y a eu confusion entre science et militantisme, entre recherche sur l’état des connaissances et militantisme au profit de préférences personnelles. Nous ne devons pas perdre de vue que celui qui nous paye pour acquérir nos connaissances c’est le citoyen-consommateur, souvent profane. Nous lui devons tout, nous lui devons aussi une analyse fiable de la réalité.
Nous, Clubenergie2051, sommes à disposition pour discuter ces questions, celles soulevées comme celles qui nous paraissent avoir été écartées.
Avec les meilleures salutations du Clubenergie2051,
Jean-François Dupont
Jean-François Dupont
Ing.-phys. EPFL, dr. ès sciences techniques
Ancien du PSI et d’EOS
Rue du Melley 7
CH-1142 Pampigny
021 800 38 90
079 217 17 26 Mob
jf.dupont@bluewin.ch
www.clubenergie2051.ch ___________________________________________________________________________________
PS 1
Quelques lectures complémentaires, à toute fin utile : ·
Si l’énergie transitionnait…
https://clubenergie2051.ch/2024/03/22/si-lenergie-transitionnait/
· Nucléaire et opinion : la compréhension s’améliore, il y a encore des difficultés.
https://clubenergie2051.ch/2024/02/01/nucleaire-et-opinion-la-comprehension-sameliore-il-y-a-encore-des-difficultes/
· Assemblée Nationale française : les conclusions d’une grande clarté de l’enquête sur la perte de souveraineté énergétique de la France.
https://clubenergie2051.ch/2023/04/11/assemblee-nationale-francaise-les-conclusions-dune-grande-clarte-de-lenquete-sur-la-perte-de-souverainete-
energetique-de-la-france/
· Une analyse fouillée des dernières modifications législatives du Parlement sur l’approvisionnement en électricité du Pays
https://clubenergie2051.ch/2023/11/18/une-analyse-fouillee-des-dernieres-modifications-legislatives-du-parlement-sur-lapprovisionnement-en-electricite-du-pays/
· Même avec des installations photovoltaïques en montagne la puissance ne sera pas suffisante en hiver
https://clubenergie2051.ch/2023/02/06/meme-avec-des-installations-photovoltaiques-en-montagne-la-puissance-ne-sera-pas-suffisante-en-hiver/
· Électricité : le point sur une situation difficile.
https://clubenergie2051.ch/2023/01/30/electricite-le-point-sur-une-situation-difficile/
· Catastrophisme : une mode et un manque flagrant de vérification des connaissances.
https://clubenergie2051.ch/2019/03/10/le-catastrophisme-a-la-mode/
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PS2
Destinataires de ce mail
Destinataires directs :
(Les intervenants et organisateurs de la conférence séminaire du 30 mai 2024)
Yasmine Calisesi
François Maréchal
Christophe Baillif
Luis Marcos
Aline Clerc
Anne-Laure Gannac
Destinataires en copie :
Représentants de la communauté académique et de l’EPFL
EPFL
Martin Vetterl
Jean-Claude Badoux
Gérard Sarlos
Pierre Jacquot
Franz-Karl Reinhart
Hannes Bleuler
Alfred Rufer
Ambrogio Fasoli
Lyesse Laloui
Andreas Zuettel
Hans Püttgen
Philippe Robert
Hubert van den Bergh
Gérard Escher
EPFZ
Wolfgang Kröger
Alexander Wokaun
Annalisa Marena
Horst-Michael Prasser
PSI
Stefan Hirschberg
Christian Bauer
UNIL
Suren Erkman
Confédération
Edouard Kiener
CF Albert Rösti
Associations de spécialistes
Carnot Cournot Netzwerk
Emanuel Höhener
Markus Saurer
Energie Club Schweiz
Vanessa Meury
Irène Aegerter
Clubenergie2051
Tous les membres
+ publication sur le site du club
Branche électrique AES-VSE + Alpiq
Michael Wider
Michael Plaschy
RTS
Alexis Favre
Coraline Pauchard
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Quand vous dites que des études de l’EPFZ concluent que la Suisse ne peut pas se passer du nucléaire, vous citez très certainement celle de 2023 payée par économie Suisse? On sait bien que le commanditaire a une influence sur les conclusions d’une étude scientifique même sans intervenir de manière directe.
Je pourrais en revanche citer l’EPFL (https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fenrg.2023.1164813/full) qui conclut que la Suisse peut faire sa transition sans avoir recours au nucléaire.
La mise en œuvre des installations solaires et les progrès de cette technologie sont bien plus rapides que le nucleaire: ou en est cette fameuse filière du thorium et quand cette technologie sera-t-elle disponible?
A-t-on seulement le temps d’attendre la mise en service d’un futur EPR (20 ans à construire pour un prix de 20 milliards de francs) alors que le solaire et l’éolien sont des technologies qui fonctionnent parfaitement qui sont disponibles immédiatement ?
Réponse à Henri Rollier
Merci Henri, ta remarque permet de préciser. De fait il n’y a pas que l’étude « payée par Economiesuisse » de 2023 que tu évoques, avec un certain plaisir (je me trompe ?) qui montre que la transition énergétique n’est pas faisable. Les arbres cachent un peu la forêt: nous avons cité beaucoup de rapports, et c’est réparti dans plusieurs articles du site du Club. Peut-être le plus emblématique de ces rapports est celui-ci du PSI :
https://www.psi.ch/ta/PublicationTab/Final-Report-BFE-Project.pdf
dont on peut lire le commentaire d’un des auteurs, Christian Bauer du PSI sur :
http://www.sccer-soe.ethz.ch/en/news/blog/energies-renouvelables-deficit-delectricite/
À découvrir dans :
https://clubenergie2051.ch/2018/05/14/strategie-energetique-2050-une-etude-de-plus-le-confirme-elle-est-non-faisable/
Ce qui est difficile à croire c’est l’attitude du DETEC, qui a 1) systématiquement ignoré les nombreux rapports publiés par des milieux compétents et pire, 2) obligé le PSI a garder le silence sur le rapport ci-dessus. Plus grave, cette censure n’a pas été dénoncée par nos EPF, dont le PSI dépend comme institut annexe. Les EPF se devaient soit 1) de confirmer que le PSI fait de la mauvaise science, et donner des arguments étayés, et féliciter le DETEC de protéger le citoyen de mauvaises analyses, soit 2) de confirmer que le PSI fait de la bonne science et mettre en garde le DETEC contre les dangers de priver les citoyens, et les élus, de bonnes analyses…
Il y a eu, à ma connaissance, une seule réaction du DETEC à tous ces rapports négatifs sur la transition énergétique telle que présentée officiellement. C’est une publicité dans la Sonntagszeitung signée Tamedia et Schweizenergie à découvrir ici : https://clubenergie2051.ch/wp-content/uploads/2022/08/wissenschaftler-erforschen-vorurteile-energiesuisse-sonntagsz-27-01-2019.pdf . Je te laisse juger à travers cette réponse en quelle mauvaise estime le DETEC tient certains ingénieurs et certaines institutions de ce pays. Entre nous, tu peux cautionner cela ? À mon avis il y a des cas où l’administration fait de la mauvaise polémique, mais pas du bon travail.
Quand aux coûts et délais de construction de l’EPR des français, tu as raison, ils ont explosé. Mais c’est le résultat d’une très mauvaise gestion du nucléaire français par des Lionel Jospin, Dominique Voynet, François Hollande qui ont démoli par idéologie un nucléaire français qui était très performant. Or le remplacement du fossile va durer encore longtemps : on a donc à la fois le besoin et le temps de relancer le nucléaire. En attendant donne un coup d’œil à l’enquête parlementaire de la France sur « la débâcle de l’électricité » sur : https://clubenergie2051.ch/2023/04/11/assemblee-nationale-francaise-les-conclusions-dune-grande-clarte-de-lenquete-sur-la-perte-de-souverainete-energetique-de-la-france/ Deux questions Henri : pourquoi personne n’en n’a parlé dans les médias romands et à quand une même enquête sur la débâcle en Suisse ?
Et si tu n’aimes pas trop le nucléaire, il y a deux recettes qui fonctionnent encore bien : taper dessus et faire peur…